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Une journée ordinaire sans eau et sans électricité à Gaza. Un témoignage au ras du quotidien. Par Ziad Medoukh

samedi 12 août 2017, par Gérard C. Webmestre , Michel Berthelemy

Ziad Medoukh est directeur du Département de Français et du Centre de Droits de l’homme de l’Université Al-Aqsa à Gaza. Universitaire et chercheur reconnu, écrivain et poète d’expression française, il sillonne sans cesse les pays francophones pour informer le monde de la situation dramatique des habitants de Gaza. Il se veut résistant par la culture, l’éducation et la non-violence. Mais c’est en simple citoyen de Gaza qu’il témoigne aujourd’hui de ce que vivent ses concitoyens. Merci à Stanislas Hutin d’avoir fait le lien.

Ziad Medoukh, Gaza, août 2017

C’est difficile pour moi citoyen palestinien de Gaza, de décrire en deux ou trois pages la situation actuelle dans notre région abandonnée. Une situation catastrophique à tous les niveaux qui s’est aggravée récemment, notamment, avec la crise de l’électricité et ses conséquences dans tous les secteurs vitaux dans cette région sous blocus israélien depuis plus de dix ans. 
Je vais essayer le plus succinctement possible de narrer une partie de mon vécu pendant des jours et des jours où Gaza était dans le noir total.

Actuellement, nous avons le droit à trois ou quatre heures d’électricité par jour, c’est insuffisant, mais on n’a pas le choix, on s’adapte avec cette situation même insupportable. Je ne vous cache pas que je me demande toujours, ainsi que tous les Palestiniens de Gaza, si nous sommes un peuple anormal pour supporter cette situation inacceptable et cette souffrance qui dure et qui dure , et je me pose souvent les mêmes questions : pourquoi nous à Gaza ? Pourquoi le monde officiel ne bouge-t-il pas ? Et jusqu’à quand durera notre souffrance ? 

Le silence complice du monde officiel

Nous avons vécu des journées terribles durant la moitié de juillet 2017, avec seulement une ou deux heures d’électricité par jour, et quelquefois deux ou trois jours sans électricité et sans eau.

La crise a commencé en avril dernier, avec la décision israélienne de réduire la quantité d’électricité qui entre dans la Bande de Gaza. Nous sommes passés de huit heures à quatre heures par jour, puis deux heures dès le début du mois de juillet. Cette crise nous rappelle les événements tragiques de l’été 2014 vécus par la population civile de Gaza, même sans bombardements et sans bombes. 
Ce qui aggrave notre souffrance c’est ce silence complice du monde officiel , la chape de silence que les médias entretiennent, et l’indifférence totale des organisations des droits de l’homme qui n’arrivent pas à condamner cette ignominie. C’est vrai, notre volonté remarquable et notre patience extraordinaire, mais surtout notre adaptation à ce contexte très difficile, est un aspect très positif qui nous aide à supporter cette souffrance. Mais notre situation est de plus en plus délicate dans cette région occultée et laissée à son sort par une communauté internationale officielle sourde à nos souffrances !

Comme deux millions de Palestiniens, nous avons vécu des jours très longs sans eau et sans électricité. J’essaie de faire mon devoir, d’envoyer des nouvelles au monde francophone, je résiste par les témoignages et le partage de notre vécu, même s’il est difficile de répondre à tous les messages qui proviennent de beaucoup d’amis et de solidaires, car je tiens beaucoup à la solidarité internationale et au soutien indéfectible de ces solidaires de bonne volonté.

Des coupures à répétition, de jour comme de nuit

Pendant ces jours terribles, nous étions tous à Gaza sous pression. Personnellement, je passais davantage de temps à mon travail à l’université. Car elle dispose d’un générateur, et durant ce temps, j’étais obligé de faire toutes les tâches de mon travail, car chez moi, la batterie rechargeable a besoin de huit heures minimum par jour pour fonctionner. Avec deux heures, elle tombe souvent en panne, et pour la réparer ou en acheter une autre, on a besoin de huit heures par jour.
Parmi les conséquences graves de cette crise, c’est le secteur de l’eau qui est le plus touché. Ici tous les puits ont besoin d’électricité pour remplir les réservoirs qui se trouvent sur le toit de nos maisons. Pour que l’eau arrive dans les robinets à partir des réservoirs, on a besoin d’électricité. Le problème étant que parfois, même pendant le retour du courant électrique, l’eau était coupée ! Il nous est arrivé de rester plus de trois jours sans eau, inimaginable ! Dans ce cas, on était obligés d’acheter de l’eau potable pour l’utilisation quotidienne. Auparavant, on achetait l’eau potable, car l’eau du robinet dans tous les foyers de Gaza n’est pas potable.

On est obligés de s’adapter à cette situation, on a dû changer nos habitudes : par exemple on achète la nourriture au jour le jour, et on ne met rien dans les réfrigérateurs, souvent vides, on a envie de boire de l’eau fraîche avec cette vague de chaleur...mais en vain ! On ne dort pas assez, il fait très chaud, les ventilateurs et les climatiseurs ont besoin d’électricité pour fonctionner, tout est paralysé à Gaza.

Vous n’imaginez pas la joie de toute la famille, quand revient le courant électrique. A n’importe quel moment du jour ou de la nuit, le retour du courant est une fête, tout le monde se réveille, pour faire fonctionner les appareils électroménagers, charger les portables, suivre les nouvelles, utiliser internet et les réseau sociaux ! Dans notre isolement, nous voulons garder le contact avec le monde !
Quand le courant électrique revient, le matin, le soir, à l’aube, même à 2h ou 3h du matin, un état d’urgence est décrété chez moi : personne dans la maison n’a le droit de me parler ou de me demander quoi que ce soit. La priorité est d’envoyer les nouvelles de Gaza aux amis solidaires et aux associations de soutien à la cause palestinienne. J’ai dû laisser tomber beaucoup d’obligations familiales, car je suis convaincu de l’importance de cette solidarité internationale. Je veux informer sur notre quotidien, je n’ai pas le temps de m’occuper de mes enfants et de ma famille, ils n’osent pas me parler quand l’électricité revient !

Prisonniers à ciel ouvert depuis des années

J’ai de la peine pour mes enfants, les pauvres, ils ne vivent pas une vie normale. Pas de loisirs, pas de vacances, ni de plage. La plupart des journées, ils sont dans leurs maisons ou devant leurs immeubles pour jouer et passer le temps. Bien que leur vacances scolaires aient commencé depuis deux mois, nous n’avons passé aucun jour sur la plage à cause de la pollution de la mer à Gaza.
Un aspect remarquable est la solidarité familiale et sociale, les voisins s’entraident énormément pour fournir de l’eau ou recharger les lampes des autres.
Le problème est que vous ne pouvez rien faire devant cette injustice. Impuissants devant de telles souffrances, nous n’avons pas d’autre choix que de supporter et de résister en attendant un changement. Le sentiment d’enfermement et d’isolement est terrible ! Les Palestiniens de Gaza sont les mieux placés pour ressentir cela, eux les enfermés dans leur prison à ciel ouvert depuis plusieurs années.

Le seul responsable de notre souffrance est l’occupation israélienne qui vise à briser la volonté remarquable et la patience extraordinaire de cette population civile de Gaza. Une population résistante et attachée à sa terre malgré toutes les mesures atroces prises dans la bande de Gaza.
On ne peut pas accuser les dirigeants palestiniens de Gaza ou de Ramallah d’avoir une responsabilité dans cette crise de l’électricité, même si la division est une honte, car les deux sont impuissants et leur pouvoir sous occupation est illusoire.
Notre contexte est comme un verre où l’eau se mélange au sel comme pour donner un sens encore à l’espérance, qui nous rend forts comme le roc sur cette terre aux mille et une meurtrissures. Les Palestiniens de Gaza sont privés de liberté, sauf de leur liberté de penser. Leur seul droit est de respirer l’air souvent pollué par l’odeur des bombes de l’occupant.

Une population digne et toujours debout

En dépit de notre vécu tragique pendant cette période où Gaza a supporté l’insupportable, ce qui nous soulage est cette mobilisation et cette solidarité civile et populaire partout dans le monde avec la population de Gaza contre le blocus israélien. Nous sommes quasiment la seule région dans le monde en souffrance permanente, pour laquelle les solidaires organisent des manifestations et des rassemblements de soutien, ça calme notre colère. On peut dire qu’aucun objectif israélien de cette punition collective n’a été réalisé, notre population digne est toujours debout.

Après tout, malgré toute cette souffrance, mon message est toujours simple : c’est un message d’espoir au cœur de la douleur.

Je suis plus que jamais déterminé à continuer ma résistance quotidienne dans la bande de Gaza, comme ma population civile, à travers l’éducation et le travail avec mes jeunes pour une ouverture sur le monde. Avec le soutien des solidaires de notre cause juste, pour une Palestine de liberté et de paix durable, une paix qui passera avant tout par la justice.

Ziad Medoukh

Ziad Medoukh vient de recvevoir le Prix international de la Fondation indienne Jamnalal-Bajaj (créé par le petit-fils du Mahatma Gandhi), pour ses actions en faveur des enfants et des jeunes de Gaza.

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