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Question d’un élève au lycée de Courcouronnes : que faire devant un ordre injuste ? C’était le 9 avril avec la 4ACG

samedi 14 avril 2018, par Gérard C

Le lundi 9 avril, deux membres de la 4 ACG et deux amis « extérieurs », accueillis par le Proviseur, ont rencontré une trentaine d’élèves d’une classe de terminale S du Lycée Georges Brassens à Courcouronnes prés d’Evry dans l’Essonne

Dans l’auditorium de ce Lycée polyvalent de 1300 élèves construit dans les années 80, la rencontre avait été organisée par une professeure de langues, madame Fatiha Hadj Hamdri, rencontrée lors de l’exposition Pierre Verbraeken au Centre Culturel Algérien de Paris.
La projection du film d’Emmanuel Audrain, Retour en Algérie , a introduit les échanges. Un élève dit son étonnement : « Je ne savais pas qu’il y avait eu tant de violences ! » Puis viennent des questions habituelles : « Est-ce que vous avez tué ? Pourquoi êtes-vous allés à cette guerre ? »
Nous retiendrons surtout d’autres échanges moins fréquents :
A Christian Travers, expliquant que la 4ACG souhaite que la France et l’Algérie se réconcilient comme l’Allemagne et la France l’ont fait, un élève demande : « Mais pourquoi une réconciliation ? Il n’y a pas aujourd’hui de conflit entre la France et l’Algérie ! » Abdelati Laoufi répond : La France officielle n’a pas rompu avec la colonisation, elle ne l’a pas désavouée. Le passé colonial persiste aujourd’hui sous la forme de discriminations qui concernent beaucoup de jeunes français dont les parents sont originaires de pays ex-colonisés.

Le professeur d’histoire invite ses élèves, que le programme amène à réfléchir sur les mémoires, à retenir, comme un exemple significatif, le souvenir personnel d’Abdelati, enfant pendant la guerre. Le 14 juillet, les autorités font venir tous les écoliers avec un petit drapeau tricolore dans la main pour assister à une cérémonie où tous les prisonniers sont relâchés ; tous sauf justement le père d’Abdelati. Depuis ce jour, il ne peut aimer ce drapeau (ce qui ne l’empêche pas d’aimer la France).

Jean Marie Maura, né à Oran en 1943, où il a vécu jusqu’en 1960, établit une belle relation avec les élèves en se présentant comme un descendant d’Italiens et d’Espagnols qui ont immigré dans cette Algérie, alors partie de la France, pour les mêmes raisons que les familles de beaucoup d’élèves présents dans la salle. Il est le premier dans sa famille à avoir fait des études, comme sans doute beaucoup de ces élèves. Sa famille quitte l’Algérie en 1960 lors des premiers attentats de l’OAS.
Ce qui amène une autre question : « reste-t-il des Pieds noirs en Algérie ? Oui, très peu (mais pas de colons.) Mais après une guerre aussi terrible, tout le monde a perdu : les pieds noirs qui ont dû partir, mais aussi l’Algérie qui avait besoin de beaucoup d’entre eux.

La rencontre se termine sur une question qui est un peu la justification de ce type d’échanges. L’élève est invité à la répéter devant ses camarades : « On doit obéir aux lois de son pays. Mais que peut-on faire et que nous demandez-vous de faire lorsqu’on doit faire quelque chose d’injuste ? »

Au final, le courant est passé entre ces élèves et les témoins présents, et au début de la prochaine année scolaire, nous reprendrons contact pour une intervention plus intégrée dans le travail scolaire.

François-Régis Guillaume (4ACG), Abdelati Laoufi (fils de combattant algérien), Jean-Marie Maura (pied-noir), Christian Travers (4ACG).

Messages

  • "" Que faire devant un ordre injuste ? ""
    Magnifique !
    Ce jeune qui s’interroge sur sa conscience et sur la peur d’avoir à accomplir ce que son honneur lui refuse d’exécuter est comme une luciole dans la nuit crépusculaire qui nous entoure et la lueur de l’aube est toujours pleine d’espoir

  • « Réfractaires à la guerre d’Algérie avec l’Action Civique Non-Violente(*)

    « Ni insoumis, ni objecteurs, ni militants politiques, ni porteurs de valises,... ou du moins pas déclarés ou organisés formellement comme tels, sans avoir marqué l’histoire, nous y avons pris notre place et représentons toujours une sensibilité qui mérite d’être étudiée et diffusée pour servir dans des situations analogues ».

    Parler des réfractaires(**) !
    Faut-il le faire à la première personne du singulier tant nous étions peu nombreux à avoir pris la décision de refuser de participer à cette guerre et tant nos motivations étaient personnelles et di-verses ?
    Faut-il le faire au pluriel tant au contraire nous étions nombreux à nous être posé la question avec, pour beaucoup, le regret de n’avoir pas su ou pu y répondre ?
    Des réponses, il y en a eu allant de la simulation pour échapper à la conscription, à la mutilation volontaire, à l’acceptation d’une affectation dans des unités non combattantes comme les SAS (Sec-tions Administratives Spécialisées) ou les services de santé, à la fuite à l’étranger, voire à l’engagement au côtés du FLN.
    Parmi les quelque deux millions d’appelés concernés entre 1954 et 1962 quelques-uns, individuellement, pour des motifs de conscience, politique, religieuse, philosophique, simplement morale ou tout cela à la fois ont tenté d’apporter une réponse plus cohérente et responsable.
    Conscience politique parce que l’indépendance de l’Algérie paraissait non seulement légitime mais maintenant inéluctable.
    Conscience religieuse pour les objecteurs pour qui le précepte “tu ne tuera pas” était impératif.
    Conscience philosophique pour les pacifistes, les non-violents, les anarchistes ou les antimilita-ristes.
    Conscience morale enfin s’agissant à l’évidence d’une guerre coloniale ou, pire, d’une guerre civile avec la torture en filigrane.
    Attention, derrière ces grands mots il n’y avait pour nous, jeunes de vingt ans confrontés à une situation difficile, que conviction, évidence, idéal, ….. Rien de vraiment théorisé.
    La réponse était personnelle, bien sûr, mais aussi individuelle pour la simple raison qu’aucune institution, aucune organisation ne pouvait se permettre de se mettre hors la loi et être disqualifiée dans le débat démocratique : situation ambigüe de partis, d’églises ou de syndicats se déclarant contre la guerre et refusant, de fait, de soutenir ceux de leurs membres qui la refusaient. Au mieux, les réfractaires étaient acceptés, souvent ignorés et au pire condamnés.
    Les obstacles étaient nombreux même d’un point de vue personnel : nos pères, nos grand père ont fait la guerre, maintenant tous nos copains partent, je vais passer pour un lâche. Je redoute les conséquences, j’ai peur de la prison. Mes proches, ma famille vont me renier.

    C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’Action Civique Non-Violente (ACNV)(***), après avoir fait ses premières armes en manifestant contre les camps d’internement administratif, pour organiser le soutien aux réfractaires.
    Cette ACNV nous la voyions, de manière imagée, comme l’entonnoir dans lequel nous entrons, cha-cun avec ses propres convictions, ses questions, ses doutes et ses craintes pour en sortir, ensemble, dans un collectif cohérent et responsable soutenus par des volontaires capables de s’engager concrètement. Nous n’étions plus seuls.
    De plus notre refus de négatif qu’il paraissait devint proposition constructive.
    Qu’en était-il dans la pratique ?
    Voici, en quelques mots simples, mon parcours qui ressemble, au détail près, à celui des 30 réfractaires de l’ACNV.

    Depuis septembre 1959, appelé, je suis bidasse en Allemagne.
    Le service militaire ? D’accord, question de devoir civique. Je suis même instructeur (quoique mal à l’aise quand il s’agissait d’expliquer que devant un “fellouze” il fallait tirer le premier !).
    L’Algérie ? Pas question. D’ailleurs, convaincu de l’inanité de cette guerre coloniale, j’avais confusément dans l’idée de “faire quelque chose” : le refus en tout cas m’était évident.
    Françoise – nous nous étions mariés sachant que, dans les circonstances de l’époque, nous partions pour 5 ans de prison – supportait mal de me voir assumer seul une telle galère et s’est mise en quête de soutiens. C’est tout naturellement que, fin décembre 1960, nous nous engageons avec l’ACNV.
    Ainsi, pendant la permission qu’on appelait “perm AFN”, après avoir renvoyé mes habits militaires, passé les fêtes de fin d’année en famille, je me retrouve sur le chantier de Gagny avec Jean Lagrave, lui aussi réfractaire, et deux volontaires de l’ACNV. Un autre réfractaire était avec nous ; il devait par la suite renoncer sous la pression de sa mère qui menaçait de se suicider. Les quatorze autres volontaires du chantier de Gagny sont déjà, les hommes à la Santé, les femmes à la Petite Roquette, emprisonnés pour avoir soutenu le réfractaire Jacques Muir.
    Le 16 janvier les gendarmes arrivent et, selon un scénario maintenant bien rodé, se retrouvent avec cinq Christian Fiquet/Jean Lagrave, solidaires jusqu’à l’identité.
    C’est parti, pour moi, pour 15 jours d’un dur périple, menotté entre deux gendarmes, de cellule en cellule, en fourgon, en train, en bateau. A Paris en attendant d’être identifié, à la gendarmerie de Gennevilliers pour confirmation, à Strasbourg en attendant de passer la frontière, à Trêves, dans ma caserne d’origine, pour refuser par trois fois selon le rite le port de l’uniforme, à Marseille enfin pour attendre le Bateau. Débarqué à Bône le 31 janvier j’arriverai à Tébessa le 10 février pour me voir affecté dans une unité en charge de la sécurité de la frontière tunisienne.
    Nouveau refus, nouvelle attente en prison militaire.
    En France on s’inquiète. Françoise écrit au ministre pour demander mon inculpation et ainsi me soustraire à l’arbitraire de l’armée. Des volontaires de l’ACNV renvoient leur livret militaire en signe de protestation.
    Le 14 février je suis cassé de mon grade, rituel un peu désuet mais toujours solennel.
    Le 7 mars, enfin, retour à Bône, cette fois à la maison d’arrêt civile, pour comparaître devant un juge d’instruction.
    La prison de Bône c’est une grande salle où 25 à 30 détenus dorment chacun sur un matelas de crin, à même le sol, protégé d’une natte de raphia, avec une couverture et, derrière la tête, ses affaires personnelles qui servent de polochon. Dans le fond un trou, toilette à la turc, avec un robinet en guise de chasse d’eau. La lumière en permanence. La journée se passe à tourner en rond dans la cour. Les détenus sont en majorité des droits communs, quelques prisonniers FLN très organisés imposent leur discipline. Quand, du fait des actions de l’OAS, la situation se dégrade, il est décidé de séparer les européens des autochtones. Nous voilà donc une quinzaine dans une salle plus petite où l’on hérite des six membres locaux du “commando Bonaparte” arrêtés récemment et qui s’évaderont bientôt dans des circonstances rocambolesques.
    J’attendrai neuf mois avant d’être jugé, le 27 octobre, coupable de désertion et de refus d’obéissance : 3 ans de prison, le maximum de la peine. Françoise est venue, hébergée par des amis de l’ACNV, pour quelques parloirs plus pénibles qu’autre chose dans des conditions déplorables et pour assister au procès. La sentence est pour elle dure à digérer.
    Le 20 février 1962, pour des raisons de sécurité, je suis rapatrié aux Baumettes (encore un long périple passant par Constantine et Maison Carrée). Aux Baumettes j’ai enfin une cellule à moi ! Pas pour longtemps, la surpopulation existait déjà il y a 50 ans.
    Pendant quelques mois je bénéficie, avec quatre autres réfractaires, du régime de la semi-liberté à “l’Étape”, centre de réinsertion des détenus méritants en fin de peine.
    Qui a eu, par la suite, la bonne idée de regrouper les objecteurs au camp de Mauzac ?
    Nous voilà revenus en arrière : 50 détenus - une douzaine de l’ACNV, le reste de témoins de Jehova avec qui la cohabitation n’est pas de tout repos - dans un baraquement avec un poêle au milieu, des barbelés tout autour. Nous avons quand même un lit et un petit placard pour ranger nos affaires personnelles ainsi qu’un bel uniforme gris-bleu qu’on suppose fait spécialement pour nous.
    En fait il s’agissait de nous regrouper en attendant le vote, imminent, d’un statut pour les objecteurs initié par le combat tenace de Louis Lecoin.
    La guerre était terminée mais nous n’étions pas emballés à l’idée de rompre notre engagement et de retourner à la caserne. Nous devions cependant purger notre peine qui entretemps avait été ramenée à trois années effectives de service.
    Je suis muté le 1er mars 1963 à la caserne de Bordeaux pour être libéré.

    Christian Fiquet, ancien réfractaire

    * Lire Réfractaires à la guerre d’Algérie 1959-1963, Erica Fraters, éditions Syllepse 2005.
    Voir le film de François Chouquet “Comme un seul homme”.
    ** On trouve parmi nous, et ainsi qualifiés par les tribunaux militaires, des déserteurs, des insoumis, des inculpés pour refus d’obéissance. Le terme d’objecteur, auquel nous préférons celui de réfractaire, n’a pas d’existence légale.
    *** Lire Résistances non-violentes, Joseph Pyronnet, édition l’Harmattan 2005.
    NB : livres et DVD sont disponibles à l’adresse de Réfractaires Algérie, 46 rue de Verdun 93290 Tremblay en France.

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