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La 4acg au lycée de Sainte-Marie-du-Port aux Sables d’Olonne

lundi 6 novembre 2023, par Bernard Pointecouteau

L’information circule bien entre les établissements scolaires. C’est ainsi que nous avons « échoué » ce matin du 25 septembre 2023, non pas sur le port, mais dans ce grand lycée sablais. Virginie (informée par un collègue d’un lycée voisin) et Guy nous y attendaient avec la soixante d’élèves de leurs classes de spécialité HGGPSP. Mémoires et Histoire est le thème de travail choisi et étudié en ce début d’année scolaire. Dans l’amphi, un auditoire très attentif à nos propos, avec prise de notes et de multiples questions. Des échanges très fructueux et un très bon retour au travers de cinq compte-rendus réalisés en binômes aussi intéressants les uns et les autres. Un choix difficile pour la publication sur site, celui que nous avons retenu (ci-dessous) donne une idée de leur intérêt pour le sujet et nous remercions vivement l’ensemble des lycéen.nes pour leur contribution.

Remerciements aussi pour l’accueil qui nous a été réservé par la direction de l’établissement et leur accompagnement au cours du déjeuner au restaurant du lycée. Merci également aux deux enseignants pour le travail de préparation fait en amont et tout disposés à renouveler cette expérience à l’avenir.

Michel, Gilles, Georges, Bernard, Jean-Marie,

A l’issue de l’intervention, les élèves ont réalisé un travail dont voici un aperçu :

Qu’est-ce que les mémoires apportent à l’histoire ?

Pour commencer, les mémoires sont plurielles, multiples, personnelles et subjectives. Pieds-noirs, Harkis, soldats ont été marqués par le conflit franco-algérien de 1954 à 1962. Ils ont réuni leurs peines au sein de l’association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami-e-s contre la Guerre. Fondée grâce à leur retraite, leurs buts sont d’aider les populations qui souffrent de la guerre, de transmettre, d’éveiller la vigilance et de créer une charte de fraternisation. Avec cette association, ils ont l’occasion de produire des films, de pratiquer une médiation historique et d’organiser des rencontres. Nous avons eu la chance de les rencontrer le 25 septembre 2023 afin d’échanger sur leur douloureuse histoire. Benjamin Stora nous dit : “La guerre n’en finit pas dans les têtes et les cœurs si elle n’est pas nommée, montrée, assumée dans et par une mémoire collective”.

En effet, les témoignages de Michel Mergny, Gilles Champain, Jean-Marie Chevalier, Georges Drouin et Bernard Pointecouteau l’illustrent.

Tout d’abord, Michel né en Algérie en 1949 est issu d’une famille pied-noir. Il raconte son départ d’Algérie, en 1961 lorsqu’il avait 12 ans, celle que sa famille a toujours connue. Il dit que c’est “un drame familial, une blessure toujours ouverte”. Néanmoins, il aborde les relations tendues depuis le débarquement français en 1830. Les pieds-noirs, bien qu’enracinés dans la société algérienne et comptabilisant des milliers d’habitants au sein du pays, ont toujours été distingués des Algériens. Sa mémoire de la guerre est sûrement moins bien violente physiquement que celle des soldats, en revanche elle n’en reste pas moins traumatisante.

Ensuite, Gilles, Georges et Bernard, eux, sont des anciens appelés en guerre. Une différente forme de mémoire s’est développée chez eux puisqu’ils étaient présents sur le champ de bataille. Chez Gilles, on ressent encore une émotion très forte. Sa jeunesse est marquée par les guerres et comme Georges sa famille a un passé d’anciens appelés. Il évoque une condition de vie médiocre et un respect des populations invisible dès son arrivée. Sa mémoire est peut-être celle qui est la plus abîmée puisque même s’il affirme ne pas avoir “commis l’irréparable”, les tortures dont il a été témoin ou même acteur l’ont traumatisé.
Gilles se dit jusqu’à “tétanisé” face à cette scène qui le hante encore aujourd’hui. Il décrit un homme enchaîné, nu, pas nourri, des enfants dans des conditions de vie déplorables, pieds nus dans la neige, des hommes tués et “abandonnés comme des chiens” devenus des proies pour les chacals. Venu le moment de quitter l’Algérie, les soldats sont soulagés mais inquiets pour ceux qui restent.

Une question se pose alors, une question qui déchire, une question qui bafoue nos principes : Mais quelle image de la France, pays des droits de l’homme, sont-ils en train de renvoyer ? L’ancien appelé nous apprend que l’armée déshumanise au point où les soldats tuent “pour l’exemple” et non plus pour se défendre. La torture devient alors “le dialogue dans l’horreur”. Un dialogue qui hante encore, un dialogue qui blesse toujours. Témoigner aujourd’hui est donc le moyen que Gilles a trouvé afin de libérer sa conscience des horreurs commises et des horreurs vécues. Dans le film réalisé par l’association, Gilles explique que l’État leur a fait croire qu’ils se battaient pour la liberté, pour leur patrie. Ils sont maintenant en droit de savoir pour quelle patrie et pour quelle liberté. Celle de qui ? Sûrement pas celle des Algériens en tout cas.

Georges, quant à lui, aborde une tout autre vision de la guerre, une valeur, une fierté qui a pris certains soldats : la désobéissance. Plusieurs soldats sont sortis des rangs, clamant leur désaccord, affirmant que cette guerre allait à l’encontre de leur principe. Il nous dit “méfiez-vous de l’obéissance”, évoque le putsch des généraux en avril 1961 et comment les appelés du contingent ont réagi en s’opposant à leurs officiers supérieurs tentés de suivre les généraux rebelles et ainsi contribué à leur échec. Il nous parle aussi et surtout du déplacement des populations. Des milliers d’habitats ont été détruits pour que les Algériens ne puissent s’y réfugier et plus de 2 millions de personnes ont été déplacées. Le but d’une partie de l’armée était juste de rassembler les populations.

Pour finir, le témoignage de Bernard, bien que rapide, fût assez éclairant quant au traitement des soldats. À l’époque le droit de vote, donc le droit de devenir citoyen s’obtient à 21 ans. Pourtant les soldats étaient recrutés à peine la vingtaine atteinte. Cela voulait dire qu’ils pouvaient mourir pour défendre une patrie dont ils n’étaient pas encore citoyens. Cela veut dire que l’État leur demandait de mourir pour une patrie dont les valeurs et les principes avaient été compromis. Des réfractaires peu nombreux se sont pourtant opposés à cette guerre.

Par la suite, Jean-Marie nous raconte une mémoire bien différente de celles de ses camarades. Ni pied noir, ni soldat ou même Harkis, il raconte l’histoire de son frère, la mémoire d’une famille touchée par la perte d’un soldat. Celle de ceux restés chez eux en attendant patiemment le retour des soldats qui risquent leur vie. Celle de ceux restés chez eux qui ne se doutaient pas une seconde de l’horreur que les anciens appelés ont pu vivre. Lorsque son frère est revenu d’Algérie, il a commencé à montrer des signes flagrants de traumatisme : peur du noir, besoins presque vital de se balader avec un bâton, etc. Sa famille a tout de suite compris que quelque chose n’allait pas. L’hiver est passé, le printemps est arrivé et Jean-Marie a retrouvé son frère, pendu. On croirait qu’un soldat mort aurait droit a des obsèques dignes de ce nom, pourtant à l’époque le suicide était considéré comme un crime par l’Église. Alors le combat de sa famille pour avoir le droit à un enterrement religieux a été long mais à force de persévérance, il a pu partir sereinement, dans un endroit représentatif de sa foi. Jean-Marie nous a évoqué une période de questionnement concernant ce que son frère avait pu vivre pour en arriver là. Il en est venu à la conclusion que les atrocités qui sévissaient en Algérie allaient au-delà de ce que l’on pouvait imaginer.

En France, à l’époque, personne ne se doute une seconde de ce qui se trame en Algérie. Personne n’imagine la torture, les meurtres, les familles déplacées, les viols. Ici, les gens pensent à une “opération de pacification”. Alors quand les soldats rentrent chez eux et qu’ils comprennent que personne n’a idée de la réalité de ces “évènements d’Algérie” ils se taisent. La parole est liée, c’est l’omerta totale, la loi du silence règne. C’est seulement suite aux articles publiés dans le Ouest-France que les langues se délient.

Pourtant malgré cette ignorance qui a pesée pendant de nombreuses années, plusieurs personnes ont essayé de se rebeller contre cette guerre. Comme le général de Bollardière, l’un des rares à s’être élevé contre la torture. Il a déclaré que “les Français doivent savoir ce qui se décide en leur nom”. Il souligne bien le fait que personne ne savait ce qui se tramait. Ni les familles, ni les soldats qu’on envoyait en Algérie se battre sans raison. Sa femme Simone de Bollardiére, veuve, est rentrée dans la 4acg. Elle a continué l’héritage de son mari en étant militante pacifiste. Dans une interview elle dit que la seule chose à faire maintenant est d’essayer d’apaiser les mémoires, les douleurs. Elle a instruit les jeunes générations, a attiré l’oreille sur le fait de se méfier de l’obéissance. Qu’obéir aveuglément peut conduire à quelque chose de grave. Que se méfier permet d’éviter que de nouvelles guerres comme celle d’Algérie ne se reproduisent.

La pluralité des mémoires permet donc une vision plus étendue de l’histoire. On reconstruit petit à petit tout ce qu’il s’est passé. On comprend la situation des appelés partagés entre l’obéissance à l’État et leur propre morale, des harkis qui trahissent leur patrie peut être dans l’espoir de s’assurer une place en France après la guerre, des pieds noirs déchirés de devoir quitter leur terre, etc. Ces mémoires doivent être transmises afin de s’assurer que des évènements pareils ne recommencent pas. Elles permettent aussi de délivrer toutes les personnes comme Bernard, Gilles, Michel, Jean-Marie et Georges qui vivront à jamais avec les séquelles de cette Guerre d’Algérie.

Les Sables d’Olonne, octobre 2023, Julie et Malory

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