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Gaza, des hôpitaux asphyxiés tentent de soigner des milliers de blessés sous les bombes

mercredi 18 octobre 2023, par Michel Berthelemy

Guerre Israël-Hamas : à Gaza, des hôpitaux asphyxiés tentent de soigner des milliers de blessés sous les bombes. Les soignants, eux-mêmes directement affectés par la guerre, submergés face à l’afflux de blessés graves, sont sans électricité et sans ressources.

Par Clothilde Mraffko, Le Monde (Jérusalem, correspondance)

Vendredi 13 octobre au soir, le directeur de l’hôpital Al-Awda, à Tal Al-Zaatar, dans le nord de la bande de Gaza, a reçu un appel de l’armée israélienne lui donnant deux heures pour évacuer son personnel et les patients de son établissement. « J’ai refusé, affirme le docteur Mohana Ahmed, joint par téléphone – l’enclave palestinienne est coupée du monde depuis le 7 octobre. On est toujours là, on travaille, on soigne nos patients, on ne bougera pas. »

Tous les hôpitaux de cette zone sont menacés : vendredi, les Israéliens ont ordonné l’évacuation des quelque 1,1 million d’habitants du nord de la bande de Gaza, dont la ville de Gaza, densément peuplée, vers le centre et le sud de l’enclave.

« Nous sommes dans une zone où il y a d’intenses bombardements et l’hôpital a subi des dommages à plusieurs endroits, heureusement pas trop importants », explique le docteur Ahmed. Sa propre famille est partie, éparpillée un peu plus au Sud, et il a à peine le temps de prendre de leurs nouvelles. « En huit jours, j’ai dormi dix heures, peut-être douze. Je cours d’un patient à l’autre, sous le stress et les bombes », soupire-t-il

Depuis une semaine, son hôpital a reçu plus de 500 patients que les médecins ont soignés avec les moyens du bord : le personnel et les médicaments, même de simples antidouleurs ou des aiguilles jetables, manquent. Le système de santé gazaoui, rendu dysfonctionnel par plus de seize années de blocus israélien, est aujourd’hui effondré. Il n’y aura bientôt plus d’électricité car rien ne rentre dans la bande de Gaza depuis le 8 octobre, pas même le carburant nécessaire pour faire marcher les générateurs.

« Une catastrophe humanitaire sans précédent se déroule sous nos yeux, a résumé Philippe Lazzarini, le commissaire général de l’UNRWA, l’agence onusienne chargée des réfugiés, débordée face au nombre de déplacés dont elle n’arrive plus à organiser l’accueil. Gaza est en train d’être étranglée et il semble que le monde a présentement perdu son humanité. »

« Faire rentrer massivement de l’aide humanitaire »

Jusqu’à présent, les convois humanitaires qui ont essayé de rentrer via Rafah, le point de passage depuis l’Egypte, sous le feu des bombes israéliennes, ont dû faire demi-tour. Un accord semblait trouvé afin de garantir son ouverture lundi matin, pour acheminer de l’aide et évacuer des étrangers coincés dans l’enclave. Selon le journal israélien Haaretz, cette aide comprendrait surtout de l’eau et des médicaments mais pas de carburant, pourtant essentiel pour faire fonctionner les générateurs des hôpitaux. « Il faut faire rentrer massivement de l’aide humanitaire, des kits d’hygiène, des abris… », explique Guillemette Thomas, coordinatrice médicale de Médecins sans frontières France, qui a des équipes dans deux hôpitaux sur place.

Elle estime qu’en l’état le grand hôpital Al-Shifa, dans le centre de la ville de Gaza, peut tenir « vingt-quatre heures, tout au plus quarante-huit heures ». Il sera ensuite plongé dans le noir, faute de carburant pour faire tourner les générateurs – une probable condamnation à mort pour la plupart des patients. Après l’attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre, qui a fait 1 400 morts, en majorité des civils, l’armée de l’Etat hébreu bombarde l’enclave en continu. Selon un dernier bilan provisoire diffusé lundi par le ministère de la santé du Hamas, 2 750 personnes ont été tuées à Gaza, dont la moitié sont des enfants et des femmes.

Les morgues débordent et de nombreux corps restent sous les décombres des maisons bombardées, par manque d’effectifs dans les équipes de secours. Des camions réfrigérés et des remorques sont utilisés pour transporter les corps car les ambulances manquent. « Gaza n’a désormais bientôt même plus de sacs mortuaires », a rapporté la porte-parole de l’UNRWA, Juliette Touma, dimanche soir.

A l’hôpital Al-Shifa, la situation est « catastrophique, résume Guillemette Thomas. Il y a des patients malades dans les lits, dans les couloirs, partout. Et énormément de gens venus pour s’abriter. C’est impossible de travailler dans cet endroit-là ». Les habitants affluent à l’hôpital, le seul lieu de l’enclave qui, sans être totalement sûr, est le moins touché par les bombardements frappant tout le reste du territoire. Dimanche, la zone de Khan Younès, dans le sud de l’enclave, vers laquelle, entre autres, étaient évacués les Gazaouis du Nord, a été bombardée quasiment en continu par l’armée israélienne.

Les médecins meurent aussi

« Nous avons 200 cas qui sont toujours en attente d’être pris en charge en salle d’opération. Même au début, ces salles ne pouvaient pas accueillir ce grand nombre de blessés », décrit le docteur Ghassan Abou Sittah, un chirurgien plasticien palestino-britannique qui travaille à Al-Shifa. Nombre de blessés présentent des plaies infectées « qui auraient dû être traitées auparavant mais nous n’en avions juste pas les moyens, ajoute-t-il. Ce sont des blessures causées par des explosions, donc elles sont énormes et effroyables, infectées, pleines de terre et de saleté, avec des éclats d’obus ».

L’hôpital manque de soignants, « parce qu’ils ont été tués, que leurs familles ont été tuées ou qu’ils doivent être avec leurs familles, qui ont dû partir » vers le Sud, précise le docteur Abou Sittah. Selon une liste dressée par le ministère de la santé du Hamas, dix médecins, quatre dentistes, quatorze infirmiers, deux étudiants en médecine et un professeur ont été tués depuis le 7 octobre.
Un chirurgien plasticien a ainsi passé sept jours à opérer à la chaîne à l’hôpital et, quand il est rentré chez lui afin de prendre quelques heures de repos, il a été tué avec trente personnes dans le bombardement de son immeuble, rapporte, effondrée, Guillemette Thomas.

Vingt-trois ambulances ont également été visées par des raids israéliens et six secouristes ont été tués. Une station de secours du Croissant-Rouge palestinien a été complètement détruite lors d’un bombardement à Jabaliya, dans le nord de la bande de Gaza. Selon l’Organisation mondiale de la santé, quatre hôpitaux ont cessé de fonctionner après avoir été bombardés.

Dimanche, dans le sud de Gaza, là où l’armée israélienne a demandé aux Gazaouis de se réfugier mais où les bombardements continuent, l’hôpital Koweït de Rafah a reçu un avertissement d’évacuation. Une vidéo montre le personnel déclencher les alarmes du bâtiment et les sirènes des ambulances en signe de refus.

La crainte de la propagation d’épidémies

« L’engagement des équipes est incroyable, ainsi que leur bravoure de se dire que “tant qu’il y a des civils, nous en tant qu’humanitaires et personnel médical, nous nous devons de rester” », décrit Hélène Avancini, représentante de la Croix-Rouge suédoise en Palestine, en lien avec le Croissant-Rouge palestinien, dont l’hôpital, Al-Quds, a également refusé d’être évacué. « L’ensemble des personnels de santé aujourd’hui est en danger à Gaza et n’a pas la protection que normalement le droit international leur donne pour pouvoir travailler. »

« Le chaos règne à Gaza, souligne Ghada Majadle, directrice du département chargé des territoires palestiniens occupés au sein de l’ONG Physicians for Human Rights Israel. Les habitants évacués ont été bombardés donc certains sont revenus » dans la ville de Gaza.

L’UNRWA estime qu’au moins un million de Gazaouis, soit près de la moitié des habitants de l’enclave, ont dû fuir leurs habitations en une semaine. Certains, faute de place, dorment dehors ou dans des abris de fortune, entassés, ce qui fait craindre la propagation d’épidémies. Les patients atteints de cancer, ceux qui ont des maladies chroniques sont dans les limbes, « plus aucune femme aujourd’hui à Gaza ne peut avoir de suivi pour sa grossesse ou ne peut accoucher dans des conditions décentes », pointe Guillemette Thomas.

Même si l’aide humanitaire parvient à être acheminée, elle devra être massive pour parer juste aux besoins les plus primaires. Il faut organiser « le passage de blessés qui ne peuvent être traités dans les hôpitaux à Gaza, insiste Ghada Majadle, qui, avec d’autres organisations israéliennes, a écrit aux autorités de l’Etat hébreu pour alerter sur l’impact du blocus total imposé à l’enclave. Nous parlons à des sourds actuellement parce que le gouvernement israélien est déterminé à mener une destruction à large échelle à Gaza et ils ont le soutien d’autres pays occidentaux ».

Source :

https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/16/guerre-israel-hamas-a-gaza-des-hopitaux-asphyxies-tentent-de-soigner-des-milliers-de-blesses-sous-les-bombes_6194716_3210.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=ios&lmd_source=mail

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