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Une visite au Mémorial de l’abolition de l’esclavage – Nantes

mardi 11 juin 2019, par Gérard Webmestre , Christian Travers

Lundi 1er mars 1880. Discours du ministre de la Marine et des Colonies, l’amiral Jauréguiberry, au Sénat. « Des possessions, en nombre assez considérable, sont venues augmenter celles que nous avions déjà. (…) Dans toutes ces annexions, on s’est formellement engagé à respecter (…) les traditions de toutes ces tribus et, dans ces traditions, figure au premier rang, ce qu’on appelle l’esclavage, mais qui n’est, pour parler plus exactement, qu’une espèce de servage héréditaire. »
Saluée par « de vifs applaudissements », cette déclaration révèle l’adhésion enthousiaste des sénateurs à la politique coloniale et à l’une de ses conséquences : le maintien de l’esclavage domestique.
Après l’abolition de l’esclavage… l’esclavage toujours. Par Olivier Le Cour Grandmaison

Et pourtant, l’esclavage n’a-t-il pas été aboli en 1848 sous l’impulsion décisive de Victor Schoelcher ? Il faut croire que la chose n’avait pas vraiment pénétré les esprits, puisqu’il a fallu attendre la loi Taubira, en 2001, pour qu’enfin soit instituée, le 23 mai de chaque année, une journée consacrant officiellement la mémoire de l’esclavage, et pour que soit créé à Nantes en 2012 un Mémorial de l’abolition de l’esclavage.

Notre ami Christian Travers s’est rendu à Nantes. Il en parle ici :

C’est une visite éprouvante. Je n’ignorais pas que des millions d’Africains avaient été déportés pendant des siècles aux Amériques. Mais les chiffres sont plus élevés que ce que j’avais en tête. Du 15e siècle à la fin du 19e, alors que la France avait déjà signé la Déclaration des Droits de l’Homme, on estime que plus de douze millions et demi de captifs furent déportés vers le continent américain et que plus d’un million et demi périrent en mer durant les traversées. En Afrique même, avant d’embarquer sur les navires négriers, d’innombrables victimes sont mortes lors de leur capture ou au cours des marches forcées pour atteindre la côte.

Les documents exposés font état de chiffres apocalyptiques. On y découvre des fleuves d’esclaves, un delta à double sens d’êtres humains appelés à travailler sous la contrainte au bénéfice des colonies européennes des Amériques. 
Une carte des pays d’origine et des destinations permet de mieux comprendre les flux de ce monstrueux trafic négrier :

Esclavage provenances et destinations de la traite négrière
Clic image zoom

Provenances principales :
Sénégal : 756 000
Sierra Leone : 389 000
Liberia : 337 000
Côte de l’Or : 1 209 000
Baie de Bénin : 1 999 000
Baie de Biafra : 1 595 000
Afrique du Centre Ouest : 5 695 000
Afrique du Sud Est : 543 000
Destinations principales :
États-Unis : 389 000
Colombie/Venezuela : 390 000
Guyane britannique : 73 000
Guyane allemande : 294 000
Guyane française : 31 000
Amazonie : 142 000
Permanbouc (nord Brésil) : 854 000
Bahia : 1 572 000
Brésil du sud est : 2 296 000
Pays européens et ports compromis :
Angleterre : 3 049 000
France : 2 158 000 dont : Le Havre : 143 000
                      Saint-Malo : 73 000
                      Nantes : 550 000
                      La Rochelle : 178 000
                      Bordeaux : 135 000
Espagne : 127 000
Portugal : 338 000
Reste de l’Europe : 430 000

(Sources : The transatlantic slave trade Data base (https://www.slavevoyages.org/) et Atlas of the transatlantic slave trade par David Eltis et David Richardson Yale Univesity Press New Haven ans London 2010)

En terminant cette visite, on ne peut s’empêcher de méditer cette réflexion d’Édouard Glissant, qui figure au Mémorial et qui parle de la mémoire : 

"L’oubli offense. Et la mémoire, quand elle est partagée, abolit cette offense. Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre, parce qu’il n’en va pas d’une vertu de compassion ni de charité, mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la Relation.. Et si nous voulons partager la beauté du monde, si nous voulons être solidaires de ses souffrances, nous devons apprendre à nous souvenir ensemble". (Edouard Glissant, Une nouvelle région du monde, Gallimard 2008).

Christian Travers

Mémorial de l’abolition de l’esclavage – Nantes

http://memorial.nantes.fr/2019/04/23/journee-nationale-des-memoires-de-la-traite-de-lesclavage-et-de-leurs-abolitions-2019/

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