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Sahara occidental : la Cour de justice européenne annule l’accord commercial signé en 2012 entre le Maroc et l’Union européenne

samedi 16 janvier 2016, par Gérard C. Webmestre

En 2011, la 4acg avait voté à l’unanimité l’octroi d’une aide financière destinée à l’envoi d’avocats aux procès des militants sahraouis, et pour l’organisation de missions civiles d’observation dans les territoires occupés par le Maroc.
Membre observateur de la 4acg à la Plateforme pour la solidarité avec le peuple du Sahara occidental, Daniel Dayot nous fait parvenir un article de Omar Brouksy, paru le 6 janvier 2016 dans l’organe Orient XXI, faisant état d’une décision de la justice européenne en faveur du peuple sahraoui. En voici la synthèse.

Le 10 décembre 2015, la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), a annulé avec effet immédiat un important accord commercial signé en 2012 entre le Maroc et l’Union européenne, portant sur les produits agricoles et la pêche. La justice européenne a en effet jugé que la mise en œuvre de cet accord, qui englobe le territoire contesté du Sahara occidental, violait le droit international et les engagements de l’U.E.
Or, compte tenu notamment du fait que la souveraineté du Royaume du Maroc sur le Sahara occidental n’est reconnue ni par l’Union et ses États membres ni, plus généralement, par l’ONU, ainsi que de l’absence de tout mandat international susceptible de justifier la présence marocaine sur ce territoire, le Conseil devait s’assurer lui-même qu’il n’existait pas d’indices d’une exploitation des ressources naturelles du territoire du Sahara occidental sous contrôle marocain susceptible de se faire au détriment de ses habitants et de porter atteinte à leurs droits fondamentaux. Il ne saurait se limiter à considérer qu’il incombe au Royaume du Maroc d’assurer qu’aucune exploitation de cette nature n’a lieu.
Le jugement s’appuie notamment sur des allégations contenues dans un rapport du Front Polisario selon lesquelles « les exploitations agricoles dans le Sahara occidental seraient contrôlées par des personnes et des entreprises étrangères non indigènes, seraient exclusivement orientées vers l’exportation et reposeraient sur l’extraction d’eau issue de bassins non renouvelables situés en profondeur » .

Tremblement de terre au palais

Classé comme un « territoire non autonome » par l’ONU, le Sahara occidental est une ancienne colonie espagnole de 266 000 km2 administrée par le Maroc depuis 1975, mais dont l’indépendance est réclamée par le Front Polisario, soutenu par l’Algérie. Près de 540 000 personnes y vivent, dont plus de la moitié sont des jeunes de moins de 30 ans. La décision de la CJUE a eu l’effet d’un tremblement de terre au Maroc qui considère le Sahara occidental comme une partie intégrante de son territoire, malgré la présence à Lâayoune, la plus grande ville, de la Mission des Nations unies pour l’organisation du référendum au Sahara occidental (Minurso) et bien que la souveraineté du royaume ne soit pas reconnue par la communauté internationale. Considéré comme la chasse gardée du palais, le dossier du Sahara occidental a toujours été géré de manière exclusive par le roi, avec une poignée de conseillers sans prise avec les autres institutions politiques (Parlement et gouvernement notamment).

Mohammed VI était en « visite privée » en France, puis aux Émirats arabes unis (EAU) lorsque la décision de la CJUE est tombée, un mois après son discours du 6 novembre 2015 dans lequel il a, de nouveau, évoqué « la régionalisation poussée » et l’importance des investissements mis en œuvre par le royaume dans ses « provinces du sud ». Le département des affaires étrangères marocain a réagi à la décision de la CJUR via un communiqué laconique : « Le royaume exprime son étonnement au regard de cette décision concernant un protocole, qui comme tous les accords bilatéraux signés, est conforme à la légalité internationale ».
Il faut dire qu’avec le Parlement européen, le Conseil de l’UE est l’un des principaux organes de décision à l’échelle européenne. Il se compose de ministres représentant les 28 membres de l’Union européenne, et se présente comme une instance éminemment politique. Sans surprise, il décide le 14 décembre de faire appel de ce verdict, qui semble avoir pris de court l’essentiel de ses membres.

Une stratégie clientéliste dépassée

Le problème de la gestion des richesses du Sahara occidental et son rapport avec la question de la souveraineté marocaine sur ce territoire sont, encore une fois, mis en évidence par la décision du tribunal européen.
Pour imposer son autorité et éviter les risques de l’instabilité politique et sociale, l’État marocain a opté dès le début du conflit pour une politique ouvertement clientéliste, favorisant les notabilités tribales et les grandes familles du Sahara occidental. Des licences de pêche en haute mer, des agréments dans différents domaines (notamment le transport), des postes élevés dans l’administration marocaine ont été accordés aux membres des familles les plus influentes du territoire pour s’assurer leur allégeance. Par contre, aucun mécanisme de représentation démocratique locale n’a été mis en place.

Après les événements sanglants de 2005 à Lâayoune, et l’émergence du mouvement des Jeunes Sahraouis, le palais prend conscience des dangers de sa stratégie initiale et de la nécessité de la modifier. En 2009, Mohammed VI réalise que les « champions » sahraouis sur lesquels il avait misé pour assurer le statu quo social sont devenus de véritables « seigneurs du désert », utilisant les privilèges administratifs que leur accorde l’État marocain et profitant des richesses locales comme d’une véritable rente institutionnalisée. Lors d’une rencontre entre Christopher Ross, l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU au Sahara occidental et le conseiller royal Fouad Ali El Himma, ce dernier détaille « les vains efforts de son parti (le Parti authenticité et modernité (PAM), qu’il a créé un an auparavant) à battre la machine politique de Khelihenna Ould Errachid », le chef d’une des familles les plus riches du Sahara occidental.
Déboulonner ce « système » qui se déploie au cœur du Sahara occidental au détriment du reste de la population, c’est courir le risque de déséquilibrer tout l’édifice politique, économique et institutionnel sur lequel le régime monarchique repose depuis des décennies. Car les notables sahraouis ne sont pas les seuls à puiser dans cette « rente du désert ». Les « chères provinces du sud », comme les appellent le monarque dans ses discours, sont tout simplement un paradis fiscal dont profitent plus de 5 000 entreprises marocaines domiciliées au Sahara occidental pour échapper à l’impôt, selon un document officiel de la province de Lâayoune.

Autonomie versus « régionalisation poussée »

Face à cette réalité, Mohammed VI adopte un double discours depuis que le Maroc a proposé en 2007 un ambitieux projet de large autonomie au Sahara. D’un côté, un discours à usage externe fait la promotion de l’autonomie en précisant que ce projet est jugé sérieux et crédible par les puissances occidentales, américaine, française, et espagnole notamment. Pour le Maroc, un tel projet permettrait au peuple sahraoui de s’autogouverner librement tout en préservant un lien étroit avec le royaume. À ceux qui, comme le tribunal européen et les ONG appellent à ce que les richesses du Sahara occidental profitent à la population locale, le roi rétorque : « Chacun sait dans quel état se trouvait le Sahara avant 1975. À ceux qui ignorent ou feignent d’ignorer la vérité, je livre ces quelques données : depuis la récupération de notre Sahara, pour chaque dirham des recettes de la région, le Maroc investit 7 dirhams dans son Sahara, dans le cadre de la solidarité entre ses régions et entre les enfants de la patrie unie » (discours royal du 6 novembre 2014).
De l’autre côté, le discours à usage interne utilise des concepts ambigus qui entretiennent le flou, voire une certaine incohérence. Le leitmotiv en est la « régionalisation poussée », un concept qui ne semble pas en phase avec le projet d’autonomie proposé à la communauté internationale depuis 2007. La régionalisation est en effet une décentralisation très avancée qui se conçoit et se déploie dans le cadre d’un État unitaire, alors que l’autonomie est quasiment un « État dans l’État ».
Autre caractéristique du discours interne : il entretient le climat de tension politique en qualifiant de traîtres tant ceux qui critiquent la gestion de l’affaire par le roi que ceux qui ne partagent pas la thèse officielle selon laquelle la « marocanité » du Sahara et l’allégeance de sa population au régime monarchique sont une ligne rouge à ne pas franchir. Les termes utilisés à cet égard par les discours royaux se ressemblent étrangement depuis 2009. On ne prendra pour exemple que celui du 6 novembre 2014, qui dit notamment : « Nous avions déjà exprimé, dans le discours de la Marche verte de 2009, notre refus catégorique de ces agissements, et qu’il n’y a pas de juste milieu entre le patriotisme et la trahison (…). Car soit on est patriote, soit on est traître. Il est vrai que la patrie est clémente et miséricordieuse, et elle le restera, mais une seule fois et pour celui qui se repent et revient à la raison. Quant à celui qui persiste à trahir la patrie, toutes les législations nationales et internationales considèrent que l’intelligence avec l’ennemi relève de la haute trahison. Nous savons que l’erreur est humaine, mais la trahison est impardonnable. Et le Maroc ne sera jamais une fabrique de « martyrs de la trahison ».

Omar Brouksy est notamment l’auteur de Mohammed VI derrière les masques. Le fils de notre ami, publié par Nouveau monde éditions en septembre 2014. Préface de Gilles Perrault.

Dernière minute : nous apprenons que le 17 décembre 2015, les Eurodéputés ont adopté un amendement sur le Sahara Occidental au rapport annuel de 2014 sur les droits de l’homme et la démocratie dans le monde et sur la politique de l’UE en la matière. En voici un extrait :
77 bis. [Le Parlement Européen] demande que soient respectés les droits fondamentaux des Sahraouis, et notamment leur liberté d’association, leur liberté d’expression et leur droit de réunion ; réclame la libération de tous les prisonniers politiques sahraouis ; demande qu’un accès aux territoires du Sahara occidental soit accordé aux parlementaires, aux observateurs indépendants, aux ONG et à la presse ; prie instamment les Nations unies de doter la MINURSO d’un mandat en matière de droits de l’homme, à l’instar de toutes les autres missions onusiennes de maintien de la paix de par le monde ; soutient un règlement équitable et durable du conflit au Sahara occidental sur la base du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, conformément aux résolutions des Nations unies en la matière ;

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