Accueil > Vie de l’association > Reconnaissance des responsabilités de l’État dans le recours à la torture (…)

Reconnaissance des responsabilités de l’État dans le recours à la torture lors la guerre d’Algérie

samedi 24 février 2024, par Gérard C. Webmestre , Christian Travers

Mis à jour le 03/03/2024 avec quelques très légers aménagements du texte de l’appel et la mise à jour des signataires

Communiqué de presse (4 mars 2024) Pourquoi une demande de reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie ?


Christian Travers le 18 02 2024

La vérité doit être dite et on s’ennoblit en reconnaissant ses fautes.

Depuis le mois de septembre un groupe de militants de plusieurs associations entraînés par Nils Andersson se réunit régulièrement afin que soit lancé un appel au président de la République pour une pleine reconnaissance de la torture par l’État français. La 4acg est partie prenante de cette démarche que j’ai encouragée et suivie avec Annick Jullion.

Dans cette voie la France progresse. Quelques citations marquantes, de Charles de Gaulle à Emmanuel Macron :

– « la France n’a pas besoin de vérité. Ce qu’il faut lui donner, c’est l’espoir de la cohésion, et un but » : Charles de Gaulle

– « Le moment n’est-il pas venu de jeter le voile, oublier ces temps où les Français ne s’aimaient pas, s’entre-déchiraient et même s’entre-tuaient » : Georges Pompidou,

– « il importe de regarder l’histoire en face, non pour se flageller avec le passé, mais pour inventer le présent sur des bases saines et claires » : Jacques Chirac,

– « ce travail de mémoire est indispensable, parce qu’il représente un devoir vis-à-vis des victimes. Parce qu’il aide chaque communauté nationale à se réconcilier avec elle-même. Parce que les leçons du passé doivent éclairer l’action publique » : Lionel Jospin,

…et tandis que le général Aussaresses décrit complaisamment ses exactions et n’exprime ni « remords ni regrets » le général Massu précise qu’ « on aurait pu faire autrement » et indique qu’une reconnaissance et une condamnation officielle de la torture seraient une avancée (propos recueillis par Florence Beaugé pour « Le Monde »)

Avec Emmanuel Macron les actions de reconnaissance des crimes de la colonisation, puis de la guerre prennent une ampleur nouvelle et l’on peut citer, pour rester strictement dans notre sujet, la reconnaissance des assassinats de Maurice Audin et d’Ali Boumendjel puis le communiqué publié le 18 octobre 2022 :

Une « minorité de combattants a répandu la terreur, perpétué la torture, envers et contre toutes les valeurs d’une République fondée sur la déclaration des Droits de L’Homme et du Citoyen », et engage aussi les politiques puisqu’il reconnaît que ceux-ci étaient « mandatés par le gouvernement ».

Dans ce même texte et de façon plus générale il indique : « Nous avons compris que nous n’avancerons pas en fermant les yeux »

En soixante ans les temps ont changé. Le contexte politique et social n’est plus le même et il est aisé de comprendre que celui qui n’était pas né quand eut lieu la guerre d’Algérie et qui fut proche de Paul Ricoeur soit plus libre dans ses propos.

Il reste du chemin à parcourir mais le président marche sur des œufs. Le contexte politique et social ne l’autorise guère à labourer une terre stérile et infructueuse qui comporte le risque de ranimer des braises, voire même de donner du grain à moudre à l’extrême droite.

Il n’empêche nous considérons qu’à ce jour les déclarations sur ces crimes sont insuffisantes.

Il reste important de reconnaître que la torture en Algérie ce ne fut pas le fait :
- de combattants égarés, 
- mais aussi de l’armée qui l’a théorisée, pratiquée à une grande échelle, pour obtenir des renseignements et terroriser, puis enseignée au-delà des frontières, 
- des politiques de l’époque qui l’ont couverte et secrètement encouragée ou ont laissé faire,
- du système judiciaire qui n’a pas, bien souvent, statué en toute indépendance sur la base du droit et qui a censuré, inquiété ou condamné ceux-là mêmes qui dénonçaient ces pratiques indignes.

Il ne s’agit pas de condamner ici des tortionnaires qui sont couverts par l’amnistie, mais il s’agit de reconnaître des faits qui concernent les manquements de tous les corps de l’État.

Sans minorer les responsabilités de l’armée, se défausser sur elle est trop facile et une façon d’occulter l’essentiel. C’est la République qui est en cause et ses valeurs qu’il faut défendre et proclamer sans relâche…

Si les nouvelles générations paraissent moins concernées que nous le sommes c’est à eux qu’il revient et qu’il reviendra d’incarner ses valeurs. Il ne s’agit pas de battre sa coulpe une fois encore mais comme on l’a écrit :« Reconnaitre les fautes du passé et les responsabilités de l’État n’est pas un acte de repentance, mais un acte de pédagogie citoyenne ». 
C’est bien ce que nous essayons de faire à la 4acg en témoignant dans les établissements scolaires : Evoquer des faits qui nous ont marqué, témoigner contre la guerre et ses horreurs, éveiller l’esprit critique des élèves, susciter leur indignation et leur révolte lorsque les droits humains sont bafoués, intervenir en compagnie d’anciens indépendantistes, de harkis, de Pieds-Noirs, de juifs d’Algérie, et manifester ainsi devant les élèves des gestes de fraternité dont notre société fracturée a besoin.

C’est aussi une occasion de combler le fossé qui existe encore entre le peuple français et le peuple algérien qui est loin d’avoir oublié la souffrance de ses aïeux. C’est aussi le moment de souligner que parmi les Français, parmi les appelés, des révoltes à ces ignominies se sont manifestées, des résistants à cette guerre honteuse ne sont pas allés combattre, des militants éclairés ont pris le parti des indépendantistes.

Ils sont l’honneur de la France.

Cet appel sera lancé le lundi 4 mars à 11 heures, à la Ligue des Droits de l’Homme 138 rue Marcadet dans le 18e arrondissement à Paris.

Vous trouverez ci-dessous le texte de cet appel.

Un dossier, intitulé sources de convictions (54 pages) peut être expédié par messagerie sur demande à : christian.travers1 gmail.com

Christian Travers

Appel

Pour la reconnaissance des responsabilités de l’État dans le recours à la torture lors la guerre d’Algérie

Le recours à la torture reconnu, pourquoi demander de reconnaître la responsabilité de l’État

Engrenage de la violence et de la peur, il n’y a pas de guerre sans crimes de guerre et crimes contre l’humanité, mais comme l’a écrit Jean-Paul Sartre, en 1958, dans le cours des événements s’agissant de la torture : « si rien ne protège une nation contre elle-même, ni son passé, ni ses fidélités, ni ses propres lois, s’il suffit de quinze ans pour changer en bourreaux les victimes, c’est que l’occasion décide seule, selon l’occasion n’importe qui, n’importe quand, deviendra victime ou bourreau. » (1) C’est l’implacable réalité, que la guerre d’Algérie confirme. Contre le silence et le déni, s’engager dans la voie de la compréhension de l’engrenage répressif conduisant au recours à la torture, dont le viol est un instrument constitutif, n’est donc pas un acte de contrition, mais un acte de confiance dans les valeurs de la nation.

Il s’agit d’une initiative s’inscrivant dans les actions menées durant la guerre d’Algérie et depuis 1962, par les organisations présentes et d‘autres organisations, pour dénoncer le recours à la torture, comme système, luttes qui ont permis de sortir du déni.

– Par la reconnaissance, le 12 septembre 2018, par le Président de la République que « Maurice Audin a été torturé puis exécuté ou torturé à mort par des militaires qui l’avaient arrêté à son domicile, il reconnaît aussi que si sa mort est, en dernier ressort, le fait de quelques-uns, elle a néanmoins été rendue possible par un système, légalement institué : le ‘système arrestation-détention’, mis en place à la faveur des pouvoirs spéciaux qui avaient été confiés par la voie légale aux forces armées. » Puis par la reconnaissance, le 2 mars 2021, que Ali Boumendjel a, lui aussi, été « torturé et assassiné » par l’armée française.

– Et par le communiqué de l’Élysée du 18 octobre 2022 : « Nous reconnaissons avec lucidité que dans cette guerre il en est qui, mandatés par le gouvernement pour la gagner à tout prix, se sont placés hors la République. Cette minorité de combattants a répandu la terreur, perpétré la torture, envers et contre toutes les valeurs d’une République fondée sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. » C’est là, une reconnaissance d’une politique et de décisions prises dans le cadre des institutions de l’État, qui ont conduit à la violation du droit international humanitaire par la France lors de la guerre d’Algérie et de la décolonisation. Mais cette reconnaissance ne répond pas aux interrogations de Pierre Vidal-Naquet qui demande en 1962 dans La Raison d’État : « Comment déterminer le rôle, dans l’État futur, de la magistrature ou de l’armée ou de la police si nous ne savons pas d’abord comment l’État, en tant que tel, s’est comporté devant les problèmes posés par la répression de l’insurrection algérienne, comment il a été informé par ceux dont c’était la mission de l’informer, comment il a réagi en présence de ces informations, comment il a informé à son tour les citoyens » (2)

D’où la volonté de nos organisations de demander clairement la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le cours des événements et dans l’État futur, donc aujourd’hui.

Les associations signataires du présent Appel, qui sera rendu public le 4 mars 2024 et dont la liste figure ci-dessous réaffirment qu’une reconnaissance officielle et historique permettrait d’ouvrir la voie à une compréhension du fonctionnement et des logiques de l’État durant une colonisation et une guerre pendant lesquelles la République a contredit les principes dont elle se réclamait. Elle est également indispensable pour notre présent et notre avenir, car, sans un retour sur cette page sombre de son histoire, rien ne préserve la République française de retomber dans les mêmes dérives.

Agir contre le colonialisme aujourd’hui, ACCA, 
Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s Contre la Guerre, 4ACG, 
Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique, AFASPA, 
Association Josette & Maurice Audin, AJMA,
Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis, ANPNPA, 
Association 17 Octobre contre l’oubli,
Association Les Oranges,
Association pour la Taxation des opérations financières et pour l’Action Citoyenne, ATTAC,
Association RépublicAine des Combattants pour l’amitié, la solidarité, la mémoire, l’antifascisme et la paix, ARAC,
Au nom de la mémoire,
Comité Vérité Justice Charonne,
Forum France-Algérie,
France-Amérique Latine, FAL,
Histoire coloniale et postcoloniale,
Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons,
Ligue de Droits de l’Homme, LDH,
Mouvement de l’Objection de Conscience (MOC-Nancy),
Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples, MRAP,
Mouvement de la Paix,
Non au Service Nationale Universel,
Réfractaires Non Violents à la guerre d’Algérie, RNVA,
SOS Racisme.

Pourquoi la responsabilité de l’État est-elle engagée par le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie ?

Cette responsabilité est engagée à cinq niveaux.

Premièrement, la doctrine de la guerre révolutionnaire, guerre psychologique se fondant sur le triptyque : « terroriser, retourner, pacifier », qui valide la torture, a été théorisée dans le cadre des écoles militaires par des officiers de retour d’Indochine, conceptualisant une doctrine « contre-révolutionnaire », se référant aux écrits sur la guerre de Sun Tzé, aux concepts « pour avoir le peuple de son côté » de Mao tsé-toung et aux théories fascistes du psychologue français Georges Sauge.

Les noms cités ci-dessous, plus qu’à titre personnel, le sont parce que leurs décisions, leurs actions ou leurs théories ont été prises, conduites ou conceptualisées dans le cadre de leurs fonctions, au sein d’instances politiques, militaires ou judiciaires de l’État.

Le principal théoricien de la doctrine de la guerre révolutionnaire fut le colonel Charles Lacheroy alors qu’il était directeur des études au sein du Centre d’études asiatiques et africaines (CEAA), devenu le Centre militaire d’information et de spécialisation pour l’outre-mer (CMISOM). Trois conférences du colonel Lacheroy : La campagne d’Indochine ou une leçon de guerre révolutionnaire, en 1954, Scénario type de guerre révolutionnaire en 1955 et en 1957, à la Sorbonne, Guerre révolutionnaire et arme psychologique, définissent, avec le label du ministère de la Défense, la doctrine française de la guerre révolutionnaire ou guerre psychologique

Le colonel Jean Nemo, auditeur à l’Institut des hautes études de la Défense nationale et le capitaine Jacques Hoggard, qui enseigne au Centre d’études asiatiques et africaines, qui seront promus généraux, furent aussi des théoriciens de la « guerre révolutionnaire. ».

Secondement, la théorie de la guerre révolutionnaire, dont la torture, comme l’a écrit Marie Monique Robin, est un pilier, a été enseignée dès 1955 à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr, à l’Institut des hautes études de Défense nationale, à l’École d’état-major, à l’École supérieure de guerre sur décision du général Augustin Guillaume, Chef d’état-major des armées et lors de la guerre d’Algérie fut créé à Arzew, le Centre d’instruction à la pacification et à la contre-guérilla (CIPCG) par Charles Lacheroy et le général Salan, sur l’initiative de Jacques Chaban-Delmas, ministre de la Défense.

Troisièmement, en application du Décret sur les « pouvoirs spéciaux » du gouvernement Guy Mollet, le 8 janvier 1957, Robert Lacoste, ministre résident, transfert les pouvoirs de police à l’armée qui en application de la doctrine de la guerre révolutionnaire, pratique la torture comme système en Algérie. Le Centre de coordination interarmées (CCI) crée sous le commandement du colonel Godard, les DOP (Dispositifs opérationnels de protection), qui sont des centres de tortures pour l’obtention de renseignements. Le général Massu, le général Aussaresses, le colonel Trinquier, le commandant Bigeard, le commandant Léger et d’autres officiers supérieurs ont ordonné ou pratiqué la torture, parmi les exécutants les plus notoires on peut citer les capitaines Faulques et Devis et les lieutenants Charbonnier, Erulin, Le Pen. C’est dans le cadre de l’armée, institution étatique, qu’ils ont commandé ou commis des actes de torture.

Quatrièmement, l’usage de la torture comme système fut couvert dans le cours de la guerre d’Algérie par les Gouvernements successifs. Alors que ceux qui pratiquaient la torture étaient promus et décorés ceux qui la dénonçaient. Le général de Bollardière, fut condamné à 60 jours de forteresse, Claude Bourdet et Patrick Barrat, journalistes, arrêtés, Henri Marrou, universitaire, perquisitionné. La liste est longue des journalistes, universitaires, éditeurs, appelés et rappelés qui ont été jugés et condamnés par des tribunaux civils ou militaires, comme est longue la liste des journaux, revues et livres saisis et celle des associations et organisations poursuivies pour avoir informé et alerté le pouvoir et l’opinion publique.

L’usage de la torture fut aussi couvert par la fin de non-recevoir opposée à ceux qui alertaient de l’intérieur des organismes du pouvoir le gouvernement : Paul Teitgen, qui démissionna de son poste de secrétaire général de la Préfecture d’Alger, Pierre Delavignette, gouverneur général de la France d’outre-mer et Maurice Garçon qui ont démissionné de la Commission de sauvegarde ou Daniel Mayer de son poste de député pour ne citer qu’eux.

Cinquièmement, la torture fut exportée, la doctrine française de la guerre contre-révolutionnaire a été enseignée par des officiers français (Aussaresses, Trinquier …) à l’école de guerre des Amériques à Panama et au Centre d’instruction dans la jungle de Manaus au Brésil qui formaient les officiers des armées d’Amérique du Sud et à Fort Bragg, les officiers états-uniens.

Le concept de « guerre psychologique » n’appartient pas au passé. Produit de « l’école française », le lieutenant-colonel David Galula est considéré aux États-Unis comme le « stratège du XXe siècle ». Après l’Algérie, David Galula, chercheur associé à Harvard, entre en contact avec Henry Kissinger et le général Westmoreland, commandant des opérations au Vietnam. Le livre de David Galula, Contre-insurrection : théorie et pratique, publié aux États-Unis en 2006, est le livre de référence du général David Petreaus, qui qualifie David Galula de « Clausewitz de la contre-insurrection » et a appliqué ses concepts en Irak et en Afghanistan.

La torture comme système de guerre a donc été théorisée, enseignée, pratiquée, couverte et exportée par les gouvernements français, ce qui engage pleinement la responsabilité de l’État signataire des Conventions de Genève. Répondre à cette responsabilité n’est pas un acte de repentance, mais une pédagogie citoyenne.

Reconnaissance des responsabilités de l’État dans le recours à la torture lors la guerre d’Algérie

(1) Jean-Paul Sartre, Une Victoire, Éditions de Midi, 1958, avec La Question d’Henri Alleg, La Cité Éditeur, 1958.

(2) Pierre Vidal-Naquet, La Raison d’État, Éditions de Minuit, 1962.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.