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Les 20 ans de la 4ACG. Voilà ce que les anciens appelés ont fait de leur mémoire

samedi 6 avril 2024, par Michel Berthelemy

Le 17 mars 2024, Daniel Mermet (Là-bas si j’y suis) était invité à l’assemblée générale de la 4acg (anciens appelés en Algérie et leurs ami.e.s contre la guerre). Une association qu’il connaît bien pour avoir participé à son lancement en 2004. Aujourd’hui, l’association a vingt ans. Les anciens appelés ont perdu leur jeunesse dans les Aurès, mais voilà ce qu’ils ont fait de leur mémoire.

Là-bas si j’y suis, Daniel Mermet, le 1er avril 2024

Anciens Appelés en Algérie et leurs Ami(e)s Contre la Guerre, 4ACG : une association créée il y a vingt ans par quatre anciens appelés en Algérie à la fin des années 1950, quatre paysans du Tarn qui refusaient de toucher leur retraite de combattant (465 euros environ par an), mais qui voulaient l’utiliser pour des actions engagées. Avec plus de 400 adhérents, ils ont pu aider et fraterniser, en Algérie comme en Palestine, et intervenir dans les écoles « pour éveiller l’esprit de résistance ».

Nous étions invités à la célébration de leurs vingt ans, le 17 mars à Mauges-sur-Loire. C’est une des grandes fiertés de Là-bas que d’avoir, il y a vingt ans, contribué au démarrage de cette aventure. Une joie de se retrouver là vingt ans après et de revoir l’ami Rémi Serres, l’un des quatre paysans qui a lancé cette superbe histoire.

Nous n’avons pas eu le courage de hurler notre désaccord au monde

En 2004, au moment de percevoir leur pension d’anciens combattants de la guerre d’Algérie, quatre petits agriculteurs du Tarn s’unissent pour déclarer :
« Nous sommes quatre anciens appelés en Algérie. À cette époque, nous, les gars du contingent, nous n’avons rien dit. Nous n’avons pas eu le courage de hurler notre désaccord au monde. Aujourd’hui, bien que percevant de modestes retraites, nous avons décidé de refuser pour nous-mêmes la pension liée à la retraite du combattant et de la reverser à des populations qui souffrent de la guerre ou à des organismes qui œuvrent pour la paix.

Ce que nous avons vu et vécu en Algérie, l’inutilité de ce conflit, la conscience de l’horreur de la guerre, le désir de transmettre cette mémoire aux jeunes générations, nous poussent à cette démarche. Dans cet esprit, nous venons de créer l’AAAACG. L’association des anciens appelés en Algérie contre la guerre.

Pour nous, il s’agit donc de convertir un argent que nous considérons sale en argent propre et utile, de faire du prix de la guerre et du sang le prix de la paix. C’est là, pour nous, un symbole fort, une manifestation historique unique, une forme de résistance aux pulsions militaristes et à toute pulsion de violence. »

C’est le message que nous avons reçu à Là-bas il y a exactement vingt ans.

Et nous voilà bien vite descendus dans les collines du Tarn, entre Albi et Gaillac, à la ferme d’Istricou, pour rencontrer les quatre paysans qui lançaient cet appel : Michel Delsaux, Georges Treilhou, Armand Vernhettes et Rémi Serres. Avec, tout autour, leurs amis, leurs familles, enfants, petits-enfants tous attentifs, très attentifs aux récits des quatre anciens appelés, avec cette question le plus souvent non dite : « et Papy, qu’est-ce qu’il a fait en Algérie ? ».

Je me souviens bien de cette attention autour du micro. Je me souviens avoir préféré ne pas aller trop loin. C’était une interview, pas un interrogatoire de police. À chacun sa vérité.

Lors de ce reportage, en 2004, avec ces familles et ces enfants qui écoutaient, nous étions là dans ce qui travaille en profondeur notre pays depuis longtemps, cette omerta qui gangrène encore.

On estime à 1,5 million le nombre d’appelés du contingent entre 1954 et 1962.
12000 de ces appelés ont été tués sur les 24 000 morts au total, en comptant les militaires, sans oublier les blessés, environ 65 000. [1].

Aujourd’hui combien de Françaises et de Français ont un père, un grand-père qui porte cette mémoire ? Sept millions ? Dix millions ? Et combien ont eu de réponses à la question « et Papy, qu’est-ce qu’il a fait en Algérie ? » [2] ?

Longtemps, beaucoup sont restés silencieux. Ou bien est-ce qu’on ne voulait pas les écouter ?

Il faut dire qu’à leur retour ils représentaient quelque chose de doublement moche. La honte d’avoir perdu et la honte d’avoir fait « des trucs dégueulasses ». Pas de quoi être fier et peu importe leur récit, on ne voulait rien entendre. On passait à autre chose, le rock, la consommation, la bagnole, la télé, la surboum et le transistor sur la plage.

C’est bien plus tard, dans les années 1990, que leurs témoignages ont été plus écoutés. En 1991 sortait le livre de Jean-Luc Einaudi La Bataille de Paris (Seuil). Il avait fallu trente ans de refoulement pour qu’on découvre le massacre du 17 Octobre 1961. C’est dire si les témoignages des appelés ont mis du temps à sortir du silence. Et beaucoup restent et resteront en travers des gorges de cette génération qui s’éteint peu à peu.

À ces appelés et à leurs proches concernés par cette « guerre sans nom », il faut ajouter les « pieds noirs », les Harkis, les générations issues de l’immigration algérienne. Et c’est tout un ressentiment, toute une fermentation qui travaille encore en silence trois générations plus tard et qui sert d’engrais à la haine sournoise dont se gave l’extrême droite et cette « Nostalgérie » tenace.

C’est dire toute l’utilité de l’association 4ACG durant ces vingt ans et dans le futur.

Non pas pour ressasser indéfiniment et rouvrir sans cesse les blessures, il faut laisser sa part à l’oubli. Leur force est d’avoir cherché un sens aux turbulences criminelles dans lesquelles ils avaient été jetés sans comprendre et de développer ce qu’ils appellent « l’esprit de résistance ».

Les 4ACG rejoignent par là même tous les réfractaires, les insoumis, les objecteurs, les déserteurs de cette guerre sans nom. Quinze mille au total dit-on. Ils rejoignent aussi plus largement l’anticolonialisme qui a existé tout au long de cette interminable traînée sanglante que dessinent les 132 ans de cette colonisation, depuis le général Bugeaud jusqu’au préfet Papon. Il est important de faire connaître cette résistance-là, même si elle fut minoritaire.

Et la page n’est pas tournée.

Jeudi 28 mars 2024, l’assemblée nationale a approuvé "une proposition de résolution qui condamne la répression sanglante et meurtrière des Algériens, commise sous l’autorité du préfet de police Maurice Papon, le 17 octobre 1961"

Par ailleurs la ville de Toul s’apprête à inaugurer une statue en hommage au général Marcel Bigeard, l’une des plus grande brute galonnée de cette guerre. On lui doit notamment l’invention des "crevettes Bigeard" qui consistait a mettre un prisonnier les deux pieds dans une cuvette, de la remplir de ciment à prise rapide puis de le jeter en mer depuis un hélicoptère.

Une pratique dont a témoigné Paul Teitgen, ancien secrétaire général de préfecture à Alger, chargé des missions de police générale. Nommé en aout 1958, il a révélé que plusieurs centaines de personnes ont été exécutées par cette méthode sans procès sur ordre du général Jacques Massu et du colonel Marcel Bigeard qui disposaient alors de pouvoirs étendus et d’un blanc seing du pouvoir politique. (Voir le témoignage de Paul Teitgen dans "La Bataille d’Alger" film d’Yves Boisset)

Avant de tourner la page, il faut l’avoir lue.

Merci donc à toutes et tous les 4ACG pour leur lutte et leur accueil, merci et fraternité supplémentaire au « petit paysan » Rémi Serres !

Daniel Mermet

Notes

[1] Concernant les victimes, l’historien Benjamin Stora fait l’estimation suivante : au total 500 000 morts, dont 400 000 côté « algérien musulman », 15 000 à 30 000 morts « Harkis », 30 000 morts militaires français, 4 000 morts parmi les « Européens d’Algérie ».

[2] Voir Raphaëlle Branche, Papa, qu’as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial, La Découverte, 2020, Paris.

Reportage réservé aux abonnés

https://la-bas.org/la-bas-magazine/reportages/ils-ont-perdu-leur-jeunesse-dans-les-aures-mais-voila-ce-qu-ils-ont-fait-de?var_bonjour=oui

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