Accueil > Actualité, presse, autres associations > Réfractaires à la guerre d’Algérie : la préface de Jean-Jacques de Felice au (…)

Réfractaires à la guerre d’Algérie : la préface de Jean-Jacques de Felice au livre d’Erica Fraters

dimanche 2 octobre 2022, par Michel Berthelemy

Alors qu’à Poitiers, un préfet s’en prend à la désobéissance civile, il est bon de rappeler ce texte* de Jean-Jacques de Felice en soutien aux Réfractaires non-violents de la guerre d’Algérie.

publié par Entre les lignes entre les mots, 30 septembre 2022

Honneur à vous, les insoumis, les déserteurs, les objecteurs, les réfractaires qui avez eu le courage de « résister », de dire non, à la pacification, à la torture, aux répressions, aux camps d’internement, le courage de « désobéir aux ordres », à la loi même, aux violations des droits de l’homme, droits individuels et collectifs, droit à l’autodétermination et à l’indépendance du peuple algérien.
Honneur à vous, les insoumis qui avez su, par obéissance à des valeurs essentielles, désobéir aux ordres injustes.
Vous n’avez jamais rien demandé, ni reconnaissance du peuple algérien, ni approbation de quiconque, pas même des pacifistes car vous étiez et vous restez modestes, vous faisiez ce que vous dictait votre conscience, et vos refus étaient multiples, variés, personnels ; ils étaient riches de leur diversité.
Aucun parti, aucune organisation, aucune Église ou obédience quelconque n’avait dicté vos choix. Parfois, contre vos amis, vos proches, votre famille, votre environnement, vous avez décidé seuls, et accepté la prison, pour des années souvent, refusant la fatalité de la violence, la fatalité de l’injustice, violence et injustice auxquelles vous deviez participer « au nom du peuple français ».
Peut-être avez-vous eu tort de vous taire si longtemps, de ne pas réunir plus tôt vos témoignages, vos lettres, vos documents afin qu’une mémoire puisse être écrite, une mémoire juste pour que soit connue la vérité : le contraire d’une mémoire culpabilisante imposée comme un devoir, mais une réalité à établir et à dire.
Vous avez eu raison de penser dans ce travail aux victimes de cette guerre, à leurs souffrances, aux Algériens réprimés, aux condamnés à mort, mais aussi aux rapatriés, aux harkis eux aussi victimes de cette guerre qu’on aurait pu éviter si les politiques de l’époque avaient imaginé un avenir de paix et non imposé la loi des armes.

Vous avez bien fait de ne pas dire : « Nous avons eu raison », alors que tous ceux qui avaient été mobilisés, « rappelés » ne pouvaient que taire une guerre qui les avait humiliés en les obligeant à tuer, voire à torturer, voire à assassiner pour venger ceux de leurs camarades tués à leurs côtés.
Permettez-moi de me souvenir de la campagne électorale de 1956.
Mon père était alors candidat « mendésiste », donc « de gauche », dans le Loiret, et je l’accompagnais dans ses tournées. Un jour, à Artenay, je vis un notable, notaire si je me souviens bien, tel un bouc au comble de l’excitation, agiter un drapeau français et hurler au cours de cette réunion publique, pourtant organisée sur le thème de la paix en Algérie : « Nous en faisons le serment, jamais nous ne descendrons le drapeau de la France dans nos départements d’Algérie et, à partir d’aujourd’hui, nous mènerons une guerre implacable contre eux, les terroristes, les fellagas, les ratons, toute cette vermine… »
Tous les assistants, bons cultivateurs français, paraissaient unanimes : il fallait faire la guerre. Et, quelques mois plus tard, la gauche votait les « pouvoirs spéciaux » et envoyait des dizaines, voire des centaines de milliers d’appelés et de rappelés vers une guerre inavouable. Aujourd’hui encore, ceux qu’on a mobilisés hésitent à témoigner.
Il fallait témoigner de cette période de votre vie : ce furent vos récits, vos lettres, vos photographies, sans jamais céder aux anathèmes, aux reproches, aux invectives. Vous appelez seulement au « devoir de savoir » tous ceux qui veulent enfin connaître la vérité sur ce qu’on appelle depuis quelques années seulement la « guerre d’Algérie ». Le temps est enfin venu de faire connaître le message de ces réfractaires et les conséquences de leur refus pour mieux révéler ce qui a été caché, occulté, passé sous silence, pour des raisons évidentes liées à notre Histoire nationale. Histoire même de la France, de sa fierté enseignée jadis, et malheureusement peut-être aussi demain, d’avoir été maîtresse d’un empire colonial si vaste que les « valeurs de la République » pouvaient être répandues partout dans le monde. Tous ceux qui ont pensé que le colonialisme, source de tant d’injustices et de répressions, devait être absolument combattu, que l’aspiration à l’indépendance des peuples colonisés était une juste revendication et devait être soutenue, et plus encore par une France éprise de « liberté, d’égalité, de fraternité », auraient dù vous soutenir, mais vous étiez pour beaucoup des déserteurs, des traîtres. Malgré cela, vous avez tenu bon.

"Obéis plutôt, ça sera plus simple !"
Les institutions, les organisations, vos familles parfois, vous prêchaient l’obéissance : « Tu vois dans quel état tu te mets, dans quelle situation tu « nous » mets, en objectant, en désertant. Obéis plutôt ! Ce sera plus simple… »
Il faut, en vous lisant, penser à aujourd’hui, à ce que votre « désobéissance civile » a représenté comme phénomène politique, comme engagement poli- tique, comme action politique, à court, à moyen et à long terme.
Vos témoignages et vos engagements ont été féconds : une partie de plus en plus importante de nos concitoyens en a été marquée.Vous étiez pourchassés, emprisonnés, mais de larges couches de l’opinion publique partageaient de plus en plus vos analyses
Des intellectuels, des « personnalités », comme Jean-Paul Sartre, comme Théodore Monod, comme Paul Ricœur, et tant d’autres, mêmes s’ils risquaient peu au regard de vos difficultés et de vos souffrances, appelaient à l’insoumis- sion ; vos refus devenaient action et événement ; vous agissiez sur le monde.
En défendant les déserteurs portugais face à la guerre coloniale de l’Angola et du Mozambique, les déserteurs américains face à la guerre du Vietnam, j’ai constaté que, comme vous, ils avaient modelé, modifié, leurs opinions publiques dans leurs propres pays, et fait avancer des solutions de paix.
Honneur à vous qui, modestement, avez écrit cette page nécessaire de notre histoire et permis ainsi d’espérer, à travers vos témoignages, une société plus fraternelle et plus juste pour demain.

Jean-Jacques de Félice, avocat

*Réfractaires à la guerre d’Algérie 1959-1963, Erica Fraters, éd. Syllepse 2005

https://www.syllepse.net/syllepse_images/refractaires-a-la-guerre-dalgerie.pdf
Blog : https://www.refractairesnonviolentsalgerie1959a63.org

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.