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Objets d’instrumentalisations, de mensonges et d’anathèmes : les Harkis, une mémoire à vif

samedi 6 février 2021, par Michel Berthelemy

par Rachida El Azzouzi, Fatima Besnaci-Lancou, Gilles Manceron, anticolonial.net, 2 janvier 2021

Le terme de harki désigne deux réalités : les supplétifs recrutés par l’armée française durant la guerre d’Algérie, sous différents noms qui ont laissé place à la désignation générique de harki ; et le groupe social, dont la plus grande partie était composée de femmes et d’enfants, qui ont été transportés en France en raison des violences qui les menaçaient lors de l’indépendance. De part et d’autre de la Méditerranée, leur histoire complexe n’a cessé de faire l’objet d’instrumentalisations, de mensonges et d’anathèmes. Pour Mediapart Rachida El Azzouzi a abordé la mémoire à vif liée à cette histoire dans une émission réunissant Fatima Besnaci-Lancou - qui a quitté enfant l’Algérie en 1962 et a partagé la relégation scandaleuse de ce groupe social dans la France postcoloniale, et est devenue historienne -, et Gilles Manceron.

L’exil des harkis : question de choix ou de survie ?

Voici ce qu’écrivait Rachida El Azzouzi, journaliste à Mediapart le 11 décembre 2020.
« Certains dossiers sont hors de discussion, tels que le sujet des harkis, d’autant que leur départ en France a été un libre choix. » Abdelmadjid Chikhi a douché les espoirs de celles et ceux qui espèrent un jour la fin de l’instrumentalisation de l’histoire en Algérie.
Dans un entretien à la revue de l’armée algérienne El Djeich en novembre, le gardien des archives nationales algériennes explique que les harkis, ces Algériens qui furent recrutés comme auxiliaires de l’armée française pendant la guerre d’indépendance algérienne (1954-1962), sont « un dossier français ».
Si cette déclaration dans la bouche d’un cacique du FLN n’est pas une surprise dans un pays où la manipulation de l’histoire est « dans l’ADN du régime », comme le rappelle ici l’historienne Karima Dirèche, elle n’en demeure pas moins problématique, car elle entache et discrédite la mission confiée à cet homme : Abdelmadjid Chikhi a été mandaté par le président algérien Abdelmadjid Tebboune pour mener la mission mémorielle sur la colonisation et la guerre d’Algérie dans le but de favoriser « une réconciliation franco-algérienne » (tandis qu’en France, c’est l’historien français Benjamin Stora qui a été nommé par l’Élysée).
« L’exil des harkis en 1962 ne fut pas un choix mais une question de survie, “la valise ou le cercueil”… Des charniers existent en Algérie, d’hommes égorgés, dépecés, émasculés, leurs organes génitaux enfoncés dans la bouche. Le travail de l’historien est de rechercher, de connaître et de faire connaître le passé, sans parti pris idéologique ni falsification », n’a pas tardé à lui répondre, mais sans jamais le nommer, le Comité national de liaison des harkis (CNLH), qui œuvre pour que le drame harki soit reconnu en France et « gravé dans le marbre de la loi ».
Cinquante-huit ans après la signature des Accords d’Évian, les harkis continuent de faire l’objet d’instrumentalisations et de polémiques enfiévrées de part et d’autre de la Méditerranée. Érigés au rang de « parias » par le pouvoir FLN algérien, trahis par les Français pour lesquels ils ont risqué leur vie, ces anciens supplétifs de l’armée française subissent encore l’ostracisation.
Plusieurs dizaines de milliers d’entre eux furent victimes de représailles de la part du pouvoir algérien, emprisonnés, sauvagement torturés et exécutés à la libération de l’Algérie. Ceux qui réussirent à rejoindre la France avec femme et enfants (environ 90 000 personnes) furent, pour plus de la moitié d’entre eux, parqués et oubliés dans des camps misérables pendant des décennies. Ils y seront traités en « réfugiés » à surveiller et non en « rapatriés », contrairement aux Européens qui ont dû fuir comme eux l’Algérie.

Mensonges, anathèmes et manipulations

A la suite de Rachida El Azzouzi, Fatima Besnaci-Lancou et Gilles Manceron développent dans cet article l’ampleur du drame qui s’est joué sur le sort des Harkis, trop souvent instrumentalisés, objets de mensonges et de manipulations de part et d’autre de la Méditerranée.
Le dernier livre de Fatima Besnaci-Lancou, Harkis au camp de Rivesaltes – La relégation des familles – Septembre 1962-décembre 1964 (Éditions Loubatières, 2019), déploie les témoignages de onze femmes et six hommes relégués, entre quelques mois et deux ans, dans ce camp. Ils y racontent la vie cernée par les barbelés, les pénuries d’eau, les maladies de peau, le manque d’hygiène, les souffrances…
Quant à Gilles Manceron, spécialiste du colonialisme français, il rappelle les multiples instrumentalisations dont ont été victimes et sont encore victimes les harkis, notamment ceux qui ont vécu dans les camps. En France, ce sont les milieux d’extrême droite, nostalgiques de l’Algérie française, qui manipulent leur histoire : « Ils ont fait un parallèle entre l’abandon de l’Algérie par de Gaulle et l’abandon des harkis. Les personnes qui étaient dans la rancœur de manière très logique ont été parfois tentées d’épouser ce discours. »

https://histoirecoloniale.net/Harkis-une-memoire-a-vif-par-Rachida-El-Azzouzi-Fatima-Besnaci-Lancou-et-Gilles.html

Quelques ouvrages pour aller plus loin :
 Les harkis dans la colonisation et ses suites, Gilles Maneron et Fatima Besnaci-Lancou, éd. De l’Atelier, 2008
 Les harkis, histoire, mémoire et transmission, Fatima Besnaci-Lancou, Gilles Manceron et Benoît Falaize, éd. De l’Atelier, 2010
 « Les harkis, une histoire déformée par des récits officiels », in Association des 4ACG (anciens appelés en Algérie et leurs amis contre la guerre), Guerre d’Algérie, guerre d’indépendance : Paroles d’humanité, Paris, L’Harmattan, 2012
  Harkis au camp de Rivesaltes – La relégation des familles – Septembre 1962-décembre 1964, Fatima Besnaci-Lancou, préface de Olivier Dard, Éditions Loubatières, 2019.
 - Le Dernier tabou, les Harkis restés en Algérie après l’indépendance
Pierre Daum - Actes Sud, 2015

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