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L’Exposition coloniale de 1931, un sommet de propagande impérialiste

mardi 21 décembre 2021, par Michel Berthelemy

Le Palais de la Porte Dorée de Paris a été construit à l’occasion de l’Exposition Coloniale Internationale de 1931.
Le palais changea ensuite plusieurs fois d’attribution, tout en maintenant l’Aquarium tropical, présent depuis 1931.

En 2007, il devint le Musée de l’histoire de l’immigration Celui-ci est le fruit d’une longue exigence finalement satisfaite, portée par nombre d’organisations antiracistes et historien-nes, sociologues, spécialistes de cette question.
Du 6 mai au 30 novembre 1931, cette exposition tenta de promouvoir une image de la France impériale à l’apogée de sa puissance.
Ce fut un immense succès populaire. Véritable ville dans la ville, l’exposition s’étendait sur plus de 1200 mètres de long et était sillonnée par plus de dix km de chemins soigneusement balisés. Elle s’inscrivait dans la tradition des expositions universelles du dix-neuvième siècle vouées à promouvoir la puissance des nations européennes. Cependant celle était exclusivement consacrée aux colonies.

L’exposition a accueilli plus de 8 millions de visiteurs, c’est un chiffre considérable : 4 millions de parisiens, 3 millions de gens de banlieue et un million d’étrangers. Cette dernière indication est sujette à caution, car 1931 est une année de recensement indiquant que millions d’étrangers résident en France, essentiellement européens mais pas seulement

Ainsi depuis que les Etats-Unis ont suspendu leur politique de quotas de ressortissants étrangers, la France est devenue la plus importante aire d’arrivée de migrants au monde.
Un soin inouï et un apparat peu commun ont entouré l’ouverture de cet « évènement de l’année » selon Lyautey qui, conquérant du Maroc et « fondateur de l’Empire » bénéficia d’une entorse au protocole et fut autorisé à partager la banquette arrière de la voiture présidentielle de Gaston Doumergue.

L’historienne Catherine Coquery-Vidrovitch relate un article du journal Le Temps : « le cortège s’émerveilla de la reconstitution du temple d’Angkor qui fut le clou de l’Exposition. Puis le cortège longea les pagodes du Laos, aux toits colorés, la coupole blanche du pavillon de l’Algérie, les huttes africaines … »

La spécialiste de l’AOF indique qu’une immense tour de plus de 60 m de haut fut érigée par l’armée au centre de la ville coloniale représentée pour sa propre gloire. Le grand historien Charles Robert Ageron a démontré que l’exposition coïncide avec les premiers retentissements sérieux de la crise mondiale dans les possessions françaises. De sourdes contestations et des solutions alternatives au fait colonial sont à l’oeuvre. Le retour au passé n’est déjà plus possible. Le colonialisme civil et militaire appuyé par les églises va diviser les peuples, se raidir et frapper sévèrement. Mais avant cela il se doit de représenter à sa manière, selon l’historien Christophe Bosquillon, l’ensemble du monde colonial et toutes ses composantes sous un jour flatteur.

C’est pourquoi, pour rendre l’évènement plus vivant et plus attractif, des animations y furent proposées.

Dans chaque section des habitants des colonies donnaient vie aux villages reconstitués. 1500 femmes et hommes d’Afrique subsaharienne furent recrutés sous contrat. Des artisans montraient leur habileté à travailler le cuir et le métal. Des femmes faisaient la cuisine ou lavaient le linge en chantant et en dansant, reproduisant ainsi les stéréotypes. Il s’agissait d’exhiber des femmes et des hommes pour affirmer le pouvoir de la France sur ces populations.

Exotique, démesurée, l’exposition se prolongeait la nuit sous les effets des jeux de lumière et des fontaines lumineuses. Il fallait que le quidam en eût pour son argent.

A travers cette vision idéalisée du monde colonial, suintait l’idéologie raciste d’une époque, prouvant la supériorité de l’Occident chrétien, qu’il fût catholique ou protestant. Cet Occident se considérait comme porteur d’une mission civilisatrice contre « les tyrannies locales ».
Cette exposition avait un autre but. Celui de montrer aux autres puissances coloniales qu’il fallait compter sur la France éternelle. Le manque d’enthousiasme des autres colonialismes fut patent : ni l’Espagne (revendiquant une plus grande part du Maroc) ni l’Angleterre n’acceptèrent de participer.


Une propagande tournée vers la jeunesse

Une dizaine de caravanes scolaires amenèrent près de vingt mille élèves avec leur directrices, leurs directeurs, leurs maîtres et maîtresses.
Les étudiant(e)s pour leur part reçurent des leçons d’histoire ou plutôt des « leçons de choses ». Le palais des colonies, seul bâtiment construit en dur pour survivre à l’événement constituait un lieu de synthèse de l’exposition, présentant l’histoire de l’empire français, ses territoires. Il fallait donner à voir l’empire de façon soignée et didactique
Quant aux « valeurs » du colonialisme, que devaient être la morale, le progrès, l’effort, le nationalisme, la loyauté à l’égard de la métropole, l’historien et militant anticolonialiste Gilbert Meynier a observé que celles-ci sont autant de rivières se jetant dans le « grand fleuve de l’idéologie populaire impériale pour un public infantilisé ».
On n’a pas hésité à montrer à ce public un spectacle immonde en exhibant cent trente-trois Kanaks prétendument cannibales qui firent les délices de la presse d’extrême-droite.
Quant au quotidien Paris Soir, il publia un montage de six photos en un seul lot représentant à la fois un éléphant, des zèbres, des girafes, des singes s’amusant en liberté ainsi qu’un groupe de Marocains et un groupe de Tunisiens. Notons que les organisateurs avaient interdit les pousse-pousse car jugés dégradants pour les hommes attelés comme pour les … usagers !!

Des opposants courageux, mais minoritaires

Une courageuse minorité anticoloniale s’est opposée à cette gigantesque manifestation colonialiste.
La condamnation du Parti communiste français fut d’abord sans appel. Puis son discours s’affaissa quand son secrétaire général Maurice Thorez déclara : « le droit au divorce (des colonisés NDLR) n’oblige pas de divorcer ».
Le timide projet de réforme Blum-Violette à propos de l’Algérie, tenté par le Front Populaire soutenu par le PCF, mais qui ne vit jamais le jour, mit en grande difficulté ce parti, face aux revendications des indépendantistes algériens du Parti du peuple algérien (PPA)
La SFIO (parti socialiste ) n’a pas récusé le bien-fondé de cette manifestation. Son journal le Populaire en publia de nombreux compte rendus.
Un de ses commentaire était limpide : « Que le peuple de Paris, de France et de l’Univers en tire plaisir et profit, nous n’y faisons aucun obstacle. »
Des militants communistes essentiellement Indochinois firent plusieurs tentatives pour organiser des initiatives visibles.
Ils distribuèrent des tracts et tentèrent à trois reprises d’organiser une manifestation dans l’enceinte même de l’exposition. La préparation la plus avancée prévue le 3 août échoua par l’arrestation et l’emprisonnement de dizaines de militants avant qu’elle ne commence.
Une contre exposition intitulée la vérité sur les colonies à laquelle participèrent artistes, intellectuels, écrivains dont Aragon, Paul Eluard ou André Breton tenta de dénoncer les pans peu glorieux passés sous silence.
Cette exposition dura peu, sa fréquentation fut réduite (4200 entrées du 19 septembre au 2 décembre) et son impact fut très faible.

La parole anticolonialiste la plus franche fut portée par une poignée de militant-es communistes libertaires autour de Daniel Guérin notamment et des jeunes socialistes de gauche regroupés dans la SFIO et dont certains rejoindront les premiers groupes trotskistes. Ils prêchèrent souvent dans le désert.

Mais ils menèrent aussi des actions de solidarité très concrètes : pour cette période, ils ont ainsi soutenu financièrement, hébergé clandestinement, protégé y compris physiquement des hommes et femmes en particulier d’Algérie et d’Indochine, qui joueront plus tard un rôle déterminant dans leurs pays libérés.

Au moment où soufflent sur ce pays des vents mauvais et pestilentiels, où certains osent parler de rôle positif de la colonisation, où la parole raciste est vomie sur les ondes, sur les écrans, dans les journaux populaires de façon décomplexée et sans aucune retenue, il est important de rappeler que ce pays a une longue tradition coloniale et xénophobe.

Philippe Chamek pour Memorial 98
http://www.memorial98.org

Articles de Memorial en lien avec ce thème :
http://info-antiraciste.blogspot.com/2020/07/colonialisme-que-signifie-la.html
http://www.memorial98.org/2016/12/le-premier-genocide-du-xxe-siecle-herero-et-nama-face-a-l-allemagne-imperiale.html
http://www.memorial98.org/article-17-octobre-1961-un-massacre-colonial-120574236.html
http://www.memorial98.org/article-de-castres-a-carcassone-chronique-de-la-tradition-coloniale-et-de-la-haine-raciste-125529792.html

Messages

  • Bonjour. Étant enfant mon père qui était pourtant syndicaliste me parlait avec enthousiasme de cette exposition qu’il avait vu à l’âge de 12 ans. Il m’a fallut du temps pour que je me rende compte de la supercherie ! Merci la JOC ! Pascal

  • Bonsoir, merci à mes amis de l’association 4ACG et de l’A.C.O. de m’avoir transmis cette page d’Histoire ; je n’avais pas connaissance de l’existence de cette exposition coloniale internationale ; je ne me souvenais pas l’avoir étudiée, en cours d’histoire lors de ma scolarité.
    Étant nouvelle retraitée, moi, c’est en 1962-1963 que, alors à l’école maternelle, j’ai eu des institutrices jeunes et célibataires, qui venaient d’Algérie.
    De plus, j’ai souvent entendu parler de la guerre d’Algérie par mes oncles.
    Puis, Mr Fernand Fournier, que je connaît un peu, habitant la commune de mon enfance, a écrit un livre : "Paroles d’Appelés : Leur version de la guerre d’Algérie (Série Maghreb ; L’Harmattan ; Mémoires du XX°ème siècle. Cordialement. Anne-Marie

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