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Chronique d’une opération désastreuse

Dix ans après l’invasion de l’Afghanistan, bienvenue à l’Américastan, état en faillite

vendredi 4 novembre 2011, par Gérard C. Webmestre

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Après un court séjour à Kaboul, le journaliste décrit la situation matérielle et morale catastrophique des Afghans. Aucune issue pacifique n’est plus crédible. Avec le temps, la misère s’accroît. On continue de cacher la vérité.

Johnny Barber, l’auteur de l’article, est membre d’une délégation de l’association " Voices for Creative Nonviolence " en Afghanistan et raconte l’état réel de ce pays après 10 années d’une guerre menée par les États-Unis : une situation déplorable qui contredit encore les affirmations du gouvernement français pour justifier le sacrifice de nos soldats.

Le témoignage d’un journaliste américain de retour de Kaboul

Mercredi 19 octobre 2011
article de Johnny Barber, Truthout | Op-Ed English text HERE)

En descendant de l’avion de la Turkish Air, sur le tarmac poussiéreux du terminal, on est salué par un grand panneau qui annonce en anglais “ Bienvenue dans la Maison du Brave”. Je marque le pas un instant, hoche la tête en pensant “étrange plaisanterie” puis me dirige vers le bureau de contrôle. Une courte file d’attente et je présente mon passeport américain au garde dans sa baraque. Il ne me connait pas. Il tourne les pages jusqu’au visa qu’il tamponne, trouve la photo et, après un regard vérificateur, me rend le passeport. Je suis entré en Afghanistan.

Je suis venu avec deux amis d’une association “Voix pour une Nonviolence Créative”, en délégation pour rencontrer des Afghans et rassembler une documentation sur la vie quotidienne depuis l’invasion américaine en 2001. Après avoir récupéré nos bagages et un court trajet en bus jusqu’au parking, nous sommes chaleureusement accueillis par Hakim, Mohammed Jan et son frère Noor. Hakim et Mohammed Jan sont nos hôtes, membres de la “Jeunesse Afghane pour la Paix”.

Pendant le trajet de l’aéroport à Kaboul, Hakim fait un résumé de la situation. Elle s’est considérablement détériorée. Toute raison d’être optimiste s’est évanouie et la population n’a plus d’espoir même parmi les jeunes.
En roulant dans des rues encombrées à travers des nuages de poussière, je remarque des enfants avec d’énormes sacs sur le dos, ramasser des débris par terre. Des mendiants appuyés sur des béquilles ou couchés à même le sol attendent un geste au passage des voitures.

Pour la majorité des gens, la paix est impossible et le retour vers plus de violence inévitable. On ne parle plus de paix même si quelques-uns prononcent encore le terme mais seulement de quelques options, toutes militaires. Le peuple est pris entre les insurgés et la force occupante. Pour quelques-uns, surtout à Kaboul, le meilleur choix serait de garder l’occupation américaine. Le sentiment de désespoir est palpable, le peuple sent qu’il n’y a pas d’issue. Harun, un jeune pastoune, nous déclare : “ Peut-être, les Afghans ont juste besoin de souffrir davantage”.

Aucun secteur de la vie publique ou privée ne marche correctement. La tension est partout. Hakim nous signale que l’on peut voir des gens, en discussion animée, la terminer par un éclat de rire. Pour apaiser leur angoisse, ils lancent une plaisanterie.

Les attentats à Kaboul sont en hausse. Le mois dernier, il y a eu l’attaque de l’ambassade US ainsi que l’attentat suicide qui a tué Rabanni, dans sa propre maison, un conseiller du gouvernement Karzai et un chef de guerre, ( responsable de dizaines de milliers de morts, impliqué dans la négociation avec les talibans).

On nous a expliqué la meilleure conduite à tenir. Ne pas voyager seul. Ne pas sortir la nuit. Ne pas nous attarder hors de notre voiture.ou de notre appartement. Eviter d’attirer l’attention sur nous. On nous a rappelé que, non seulement les Afghans n’ont pas confiance dans les étrangers mais ils les détestent depuis dix ans.

Dix ans. Un nombre incalculable de morts, 200 ou 300 milliards dépensés pour éradiquer les Talibans, éliminer le repaire d’Al-Qaida et stabiliser l’Afghanistan et pour finir un échec. Le gouvernement Karzai est à la fois méprisé et tourné en ridicule. Le peuple le reconnait pour ce qu’il est : un régime fantoche au service des forces étrangères et pas du peuple afghan. La corruption est latente et la pauvreté s’étend partout. Cette situation instable conduit les gens à agir au jour le jour.

Rien ne marche. L’éducation , le système de santé les services publics sont en lambeaux. La police ne peut pas (ou ne veut pas) s’opposer à la violence. L’état de la Croix Rouge est pire qu’il y a 30 ans. L’eau du robinet n’est pas potable. Les coupures d’électricité entraînent des blackouts. L’assainissement est archaïque avec des tranchées ouvertes traversant les rues. Il n’y a pas de collecte des ordures ménagères. Deux cent milliards de dollars dépensés pour rien ou presque.

Les familles sont déstabilisées. Où que vous alliez, vous en trouvez dont les membres partis pour la guerre. Des centaines de milliers de morts et de mutilés. La guerre a divisé les familles et les a dispersées dans tout le pays. La société civile est en panne parce que les gens ont perdu le sens de la communauté : c’est le chacun pour soi. Le manque de confiance est un cancer qui se répand dans la société. Les groupes ethniques se font de moins en moins confiance. Les membres de sociétés, les voisins, les membres d’une même famille, tous se méfient les uns des autres.

Je me demande : “Qu’est-ce que je fais ici ?” Ce qui amène la question suivante : “Pourquoi sommes-nous là, Américains ?”
Prècédement, le Président Bush a déclaré : “ Nous les combattrons là où ils sont pour ne pas les combattre ici.” Il ne lui est sans doute pas venu à l’idée que si nous ne voulons pas les combattre là-bas, nous pourrions ne pas avoir besoin de les combattre du tout.

Poursuivre l’engagement de l’Amérique est une voie difficile. Si vous croyez en l’exception américaine – l’Amérique est bonne et cherche seulement le meilleur en apportant aux peuples du monde “démocratie, liberté, droits de l’homme” -, alors quand revenir sur cette engagement ? Si rien ne va en Afghanistan et si notre présence n’apporte que plus de militarisation et plus de misère, quand est-il temps d’arrêter ? Modèle d’exception, l’Amérique ne peut pas perdre ni abandonner ; c’est simplement trop honteux de reconnaître ses erreurs, trop embarrassant d’admettre que le pays le plus puissant militairement ne peut pas atteindre ses objectifs dans un pays déjà dévasté par des années de guerre. Peu de choix sont possibles sauf le statu quo.

Si vous écoutez un autre discours, l’Afghanistan n’a que ce qu’il mérite. Le groupe terroriste est responsable du lourd tribut du 11 septembre.
Mais dix longues années se sont écoulées. Le Taliban n’est pas vaincu et il est devenu plus difficile de définir qui sont exactement les Talibans. Si un paysan prend une arme pour défendre sa terre ou sa famille, il est classé Taliban. Si un employé local au bureau de la CIA commence à harceler ses collègues féminines, c’est un Taliban. Ce n’est pas nécessairement vrai.
Il y a des tribus qui usent de la violence contre tous les agresseurs. Elles ne font pas de différence entre les forces de l’OTAN, l’armée américaine et les talibans ; elles se défendent seules contre tous. Comme la situation se détériore et que la communauté internationale soutien cette situation avec des mensonges, contrevérités et intransigeance, la haine augmente. Le désespoir augmente. Quiconque, n’ayant aucun lien avec avec la religion fondamentaliste, recourt à la violence est assimilé à un Taliban. Haim dit avec un sourire :” Bientôt, tout le monde sera fiché Taliban”.

Nous, américains, sommes trompés par la courante affirmation d’un fondamentalisme religieux qui alimenterait une haine de ce que nous représentons. Les afghans ne haïssent pas ce que nous sommes ; ils haïssent le mal fait à leur famille, leur communauté, leurs tribus et leur pays. Je ne les blâme pas. Le sentiment de revanche et de vengeance nous fait craindre des violences futures. Quand le Président Obama a reçu le prix Nobel de la Paix, il nous a montré comment Martin Luther King était naïf, pourquoi la violence était nécessaire pour combattre le terrorisme. Il ne nous a pas enseigné comment une situation de violence crée des terroristes et assure le maintien de cycles d’exactions.

Peut-on hasarder une plaisanterie. Ryan Rocker, le nouvel ambassadeur, recommande d’en faire encore plus dans le même sens. Dans un interview au Wall Street Journal, il déclare, “Les talibans ont besoin de souffrir encore avant d’être prêts à la réconciliation”. L’interviewer ne posa pas de question ; peut-être était-il trop occupé à rire lourdement.

Ainsi s’installe une dynamique “perdant/perdant” aussi bien pour l’Amérique que pour l’Afghanistan. Les enfants américains continuent d’être privé de soins de santé, l’argent pour l’éducation et la nourriture étant engouffré dans les dépenses militaires. Les profits des fournisseurs de l’armée continuent. Les élus partisans de la force face au terrorisme sont réélus. Le peuple afghan continue de souffrir. Les enfants afghans sont privés des mêmes choses que les enfants américains mais à un degré cent fois pire. La haine se fera de plus en plus forte. Par nécessité, les Afghans deviendront des maîtres en humour.

L’Amérique n’est pas et ne sera pas plus à l’abri de la misère qu’elle impose à l’Afghanistan.

Pour terminer, le mot de la fin pour détendre l’atmosphère. C’est encore drôle, bien qu’il ait été répété une infinité de fois par les politiciens et autres “gros bonnets” américains. "L’Amérique est en train de gagner en Afghanistan”.

Johnny Barber

Johnny Barber est actuellement en Afghanistan comme membre d’une délégation de "Voices for Creative Nonviolence". Il s’est déjà rendu en Irak, Israël, Palestine, Liban, Jordanie, Syrie et Gaza pour porter témoignage et raconter la souffrance des peuples victimes de la guerre. Son travail peut être vu

ici http://www.onebrightpearl-jb.blogsp...

et

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