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Archives « secret-défense » : face au gouvernement, le Conseil d’État donne raison aux historiens

dimanche 20 juin 2021, par Gérard C. Webmestre

La juridiction a sévèrement critiqué l’action de l’exécutif visant à entraver l’accès à certains documents historiques.

Simon Blin Libération 18 juin 2021 à 17h41

Torture en Algérie, « disparus » de la guerre d’indépendance, essais nucléaires dans le Sahara… Y a-t-il eu tentative de reprendre la main sur des archives compromettantes pour l’armée française et sur lesquelles l’administration avait perdu tout contrôle au fil du temps ? Mercredi 16 juin, le rapporteur public du Conseil d’État s’est montré favorable à la requête d’un collectif d’archivistes, d’historiens et d’associations – dont l’Association Josette et Maurice Audin, militant anticolonialiste tué par l’armée française en 1957, meurtre pour lequel Emmanuel Macron a reconnu la responsabilité de l’État - qui s’est plaint des difficultés d’accès aux documents classifiés de plus de 50 ans en raison de l’application d’un arrêté ministériel sur la protection du secret de la Défense nationale.

Or, l’avis du rapporteur est clair : passé cinq décennies et plus, les archives publiques sont bel et bien communicables de plein droit, comme le veut la loi du 15 juillet 2008. « Le rapporteur public confirme que le droit n’était pas respecté », réagit Céline Guyon, présidente de l’Association des archivistes français. Le gouvernement a donc illégalement entravé l’accès à ces sources historiques, un droit pourtant garanti par l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Et ce alors qu’Emmanuel Macron encourage l’ouverture aux archives dans sa quête de réconciliation mémorielle. « Dans les faits, c’est tout l’inverse qui se passait », fait remarquer Céline Guyon.

Depuis des mois la communauté scientifique sonne l’alerte

Le secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale, un organisme dépendant de Matignon, exigeait en effet l’application systématique d’une instruction générale interministérielle sur le secret-défense et dont la mise en œuvre s’est considérablement durcie ces derniers mois. Celle-ci obligeait les citoyens à demander la déclassification des archives pièce par pièce par l’administration concernée (police, armée) avant leur ouverture. Que cela concerne la période de l’Occupation ou des guerres coloniales. Une procédure jugée « titanesque » par les chercheurs puisqu’elle peut durer des mois, voire des années, et déboucher sur un refus d’accès selon des critères opaques. L’instruction a eu pour conséquences d’empêcher l’accès à des documents publics autrefois en libre consultation.

Depuis des mois, la communauté scientifique sonne l’alerte. Dans une tribune parue dans le Monde, un collectif d’historiens avait dénoncé une « restriction sans précédent de l’accès aux archives contemporaines », rappelant que « la République garantit aux citoyens un accès aux papiers de l’Etat, accès qui est considéré comme une protection indispensable contre l’arbitraire ». Dans la foulée, une pétition demandant « l’application du code du patrimoine et de la loi sur les archives de 2008 » - soit l’accès sans réserve à ces archives à l’issue des délais légaux - avait recueillies près de 19 000 signatures.

Une application abusive de la loi sur les archives de 2008

Pour Frédéric Rolin, professeur de droit public à Paris-Saclay et requérant auprès du Conseil d’Etat, « il y a clairement eu des tensions entre la volonté présidentielle d’ouverture d’archives et la mise en musique par les services du Premier ministre ». Chercher à obstruer l’accès à des sources historiques interroge : des informations susceptibles de nuire à l’institution militaire doivent-elles rester cachées ? Le rapporteur public du Conseil d’Etat, Alexandre Lallet, en a conclu à l’annulation des dispositions de l’instruction avec des mots très durs, estimant que la nécessité de cette déclassification avait « un arrière-goût désagréable de subterfuge ».

Cet avis du rapporteur public intervient alors que le projet de loi de lutte contre le terrorisme, dont l’article 19 tente de trouver un équilibre entre accessibilité des archives et sécurité de l’État, est arrivé au Sénat. « Clairement, les conclusions du rapporteur public changent la donne, selon Frédéric Rolin. Il donne une indication pour la rédaction du texte en signifiant qu’au-delà du délai de 50 ans, on peut continuer de protéger des documents de façon exceptionnelle seulement si les intérêts de la nation sont gravement menacés. » Ce qui est loin d’être le cas pour des milliers d’archives.

Pour les historiens et les archivistes, il ne s’agit évidemment pas de remettre en question la sûreté du pays mais d’alerter sur une application abusive de la loi sur les archives de 2008 interrompant des recherches en cours. Sans accès à ces sources, matière principale des historiens, impossible pour eux de continuer à mener sereinement des travaux et de faire exister un débat contradictoire sur les enjeux controversés du passé récent de la France. Notamment ceux portant sur les crimes commis durant son passé colonial et pourtant reconnus par Emmanuel Macron en 2017. Encore en mars dernier, le chef de l’État disait vouloir « regarder l’histoire en face ».

Messages

  • Après le putsch des généraux du 21 avril 1961 et la création de l’OAS, de nombreux crimes et attentats furent commis par les membres de cette organisation séditieuse qui refusèrent le cessez-le-feu. Plus de 2000 exactions ont été perpétrées de leur fait, en Algérie et en France entre le 19 mars 1962 et le 5 juillet 1962, jour de l’indépendance de l’Algérie. Leurs forfaits furent exercés aussi bien contre le FLN que contre les forces de l’ordre (policiers, CRS, gendarmes, appelés et toutes personnes ne voulant pas se ranger à leur coté). Leur tentative pour garder l’Algérie coûte que coûte ayant échouée, nombre d’entre eux se réfugièrent en Espagne, accueillis par Franco. Après leur condamnation, ils firent profil bas jusqu’à la dernière amnistie de 1982 par le Président Mitterrand, ce qui leur permit de relever la tête sans vergogne. Mais amnistie ne veut pas dire amnésie. Même si les membres de l’OAS et leurs sympathisants nient toutes implications dans les actes de terrorisme, l’ouverture des archives montrerait sans contestations possibles leur participation aux atrocités commises entre mars et juillet 1962. Ces crimes eurent pour conséquence la vengeance des Algériens qui à leur tour massacrèrent les "Pieds-Noirs" contraints alors à l’exode.

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