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Un film et un livre lèvent le voile sur les séquelles psychologiques chez les anciens appelés en Algérie

jeudi 29 octobre 2020, par Michel Berthélémy

Presque simultanément, la question des traumatismes psychiques chez les anciens appelés est enfin rendue visible par un film et évoquée dans un ouvrage d’enquête : Des Hommes, de Lucas Belvaux, et Papa, qu’as-tu fait en Algérie ?, de l’historienne Raphaëlle Branche.

Inspiré du roman éponyme de Laurent Mauvignier, le film de Lucas Belvaux raconte le retour chaotique d’anciens appelés en Algérie. Ils avaient oublié, bien sûr. Ou plutôt tenté d’oublier l’horreur, pendant plus de quarante ans. La vie de Bernard avait été modifiée par les violences des « événements ». À son retour, ce n’était plus le même homme, enfermé dans sa solitude, le laisser-aller et l’alcoolisme. Oublier ? Non, mais enfouir. Jusqu’à ce jour anniversaire de sa sœur Solange où il lui offre un cadeau qui déclenche le drame. Il s’en prend ouvertement, devant tous les convives, au couple d’immigrés qui a préparé le repas, traitant l’homme de sale arabe, de bougnoule, le rendant responsable de tous les maux endurés en Algérie et de sa vie actuelle. Jeté dehors, il rentre dans son misérable logis et s’assoit, prostré, devant son feu de bois, tandis qu’on voit et entend Solange, interprétée par Catherine Frot, relire chez elle les lettres de son frère envoyées du bled.

Le personnage de Bernard, à l’écran Gérard Depardieu, est un homme brisé, socialement et psychologiquement, par ce qu’il a été entraîné à faire au cours d’opérations « de maintien de l’ordre », et que le réalisateur nous donne à voir dans de longues séquences de « retour en arrière » où l’on voit Bernard aux prises avec une violence à laquelle il n’était pas préparé. Certaines scènes, comme celle où il se bat avec un autre appelé qui lui reprochait sa brutalité envers certains « suspects », éclairent son comportement d’aujourd’hui et donnent une explication à cette forme d’isolement familial et social dans lequel il est tombé depuis son retour.

Le personnage de Bernard pourrait presque se retrouver dans l’enquête de Raphaëlle Branche, à ceci près qu’elle ne fait pas appel à la fiction, mais à la réalité. Les traumatismes psychiques ne sont pas au cœur de son travail, mais ils sont abordés à travers quelques-uns des trois cents questionnaires qui lui ont été retournés, et qui constituent la majeure partie des sources de son travail. L’objet de l’ouvrage est plus largement de comprendre comment s’est passé le retour des appelés, et leur réinsertion dans la société et leur environnement familial. Ce qui amène immédiatement à constater le décalage entre leur statut au moment de leur incorporation et le monde qu’ils ont trouvé à leur retour.

Pour cette enquête, dit l’auteure, « j’ai cherché à documenter les deux familles dans lesquelles se sont inscrits ces hommes : celle de leur enfance d’abord, composée de leurs parents, frères et sœurs, et celle formée ensuite de leur épouse et, le plus souvent, de leurs enfants ». C’est ainsi qu’ont été interrogés non seulement les anciens conscrits, mais tous les membres de leurs familles : épouses, frères, sœurs, filles et fils. Ainsi l’ouvrage parle-t-il du passé au présent, le situant dans une actualité vivante.

En passant du temps de la guerre au temps du retour, de la correspondance avec la famille aux retrouvailles physiques, on s’aperçoit que si les visages ont changé, c’est surtout la place de chacun qui n’est plus la même, tout autant que les discours. Ce que les lettres disaient masquait un vécu qui, dès le face-à-face du retour, devenait indicible. D’où ce silence qui, durant des décennies, a empêché les appelés de se « défaire » de l’Algérie et a perturbé, parfois profondément et pour longtemps, les relations familiales. Tourner le dos au passé ? Si la plupart des appelés l’ont tenté, leurs enfants et plus tard leurs petits-enfants ne l’entendaient pas forcément de cette oreille. La dernière partie de l’enquête est consacrée aux réponses qu’ils ont faites au questionnaire qui leur était spécifiquement dédié. La mémoire continue ainsi son chemin, de génération en génération, ouvrant la porte à de nouveaux récits. Tel par exemple le film « Des Hommes » dont nous parlions plus haut.

Des Hommes, de Lucas Belvaux, avec Gérard Depardieu, Catherine Frot et Jean-Pierre Darroussin, sort en salles le 10 novembre 2020.

Dis papa, qu’as-tu fait en Algérie ? Enquête sur un silence familial, de Raphaëlle Branche, 510 pages, éditions La Découverte, 2020.

Lire aussi : https://www.la-croix.com/Culture/Raphaelle-Branche-Benjamin-Stora-lAlgerie-souvenirs-guerre-sans-nom-2020-10-28-1201121751

La société de production du film "Des Hommes" nous informe qu’en raison des circonstances, la sortie nationale du film est reportée au mercredi 6 janvier 2021.

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