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Fabrice Riceputi : “l’État a ordonné la torture et est responsable”

mardi 25 mars 2025, par Michel Berthélémy

par Sarah Rebouh - France 3 Bourgogne-France-Comté - 19 mars 2025

L’historien Fabrice Riceputi revient pour France 3 Franche-Comté sur la guerre d’Algérie et notamment sur la généralisation des actes de torture, de la part de l’armée française à l’encontre des prisonniers. Ce dernier milite pour la reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État dans ces crimes de guerre. Explications.

Le 19 mars est la journée nationale du souvenir et de recueillement en mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Pour l’occasion, nous avons donné la parole à l’historien franc-comtois Fabrice Riceputi.

Ce dernier a publié le 16 mars un article chez nos confrères de Médiapart, dans lequel il revient sur la généralisation de la torture lors des interrogatoires effectués par l’armée française en Algérie, et sur la responsabilité de l’État français dans ces pratiques pourtant considérées comme un crime, déjà à cette époque. "La nommer était interdit dans le langage officiel, mais la torture a bel et bien été ordonnée par le commandement militaire en Algérie, avec l’aval du pouvoir politique. Après son expérimentation à Alger en 1957, les généraux recommandent même de la généraliser", explique l’historien.

Pour rappel, l’Algérie, pays colonisé par la France dès 1830, a été le théâtre d’un conflit majeur de décolonisation qui opposa les nationalistes algériens, principalement regroupés au sein du Front de libération nationale (FLN), à la France. La guerre d’Algérie a commencé le 1er novembre 1954 pour s’achever le 18 mars 1962 avec les accords d’Évian. "On compte environ 50 000 morts français, dix fois plus chez les Algériens", rappelle le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation (CHRD) de Lyon.

"Interrogatoire aussi serré que possible"

Dans son article, le Bisontin spécialisé dans l’histoire coloniale et postcoloniale, explique comment, sous la direction de généraux comme Raoul Salan, Jacques Allard et Jacques Massu, la torture a été systématisée et généralisée par l’État français dans les années 1957. Le but ? Obtenir des informations sur les résistants algériens, notamment le FLN (Front de Libération Nationale) et mater les velléités indépendantistes des Algériens. L’électrocution et la simulation de noyade étaient par exemple des techniques utilisées pour faire parler les prisonniers. Fabrice Riceputi cite différentes archives, "datant de 1957 et rendues accessibles 50 ans plus tard, en 2007". "Ces archives sont accessibles depuis 20 ans. Elles sont connues par les historiens depuis assez longtemps", nous précise le Franc-Comtois, qui a tenu à montrer que les actions de torture étaient le résultat "d’ordre écrit de torturer".

Une note rédigée en 1957, par le général Raoul Salan, qui a officié en Indochine et dirige toute l’armée française en Algérie, donne des consignes concernant les interrogatoires de suspect algériens. Il y est indiqué d’effectuer des "interrogatoires poussés à fond", d’interroger les prisonniers "avec le plus grand soin" ou encore de réaliser un "interrogatoire aussi serré que possible". Ces consignes dissimulent par des formules édulcorées des pratiques de torture "en langage militaire", selon Fabrice Riceputi, qui rappelle que le mot torture ne devait absolument pas être employé officiellement. "On voit bien que les généraux généralisent une pratique qui existe déjà et qui a été mise en place lors de la guerre en Indochine. La torture va être massive et systémique pendant toute la guerre. Ce n’est pas une découverte, les historiens le savent depuis longtemps".

Une autre note, écrite le 10 mars 1957 par le général Massu, indique que "la persuasion doit être utilisée au maximum. Lorsqu’elle ne suffit pas, il y a lieu d’appliquer les méthodes de coercition dont une directive particulière a précisé le sens et les limites". Cette directive ne figure malheureusement pas dans les archives officielles.

L’article de l’historien évoque aussi la "disparition forcée", qui a été une conséquence de cette politique de terreur, avec des exécutions sommaires et la mise en place de centres de torture clandestins. Ces pratiques seront plus tard qualifiées de crime contre l’humanité dans le cadre du droit international, bien que la France, après la guerre, ait mis en place une amnistie pour ces crimes à travers les accords d’Évian.

"Il y a une réticence toute particulière à propos de l’Algérie"

Fabrice Riceputi souhaite une reconnaissance officielle de la responsabilité de l’État dans les crimes de torture en Algérie. "Il est important de faire en sorte qu’une reconnaissance arrive et qu’une condamnation par la France intervienne et notamment au sujet de la torture. C’est un sujet qu’Emmanuel Macron évite : la responsabilité de l’État. Quand Emmanuel Macron reconnaît un crime, il a reconnu par exemple le 17 octobre 1961, mais toujours en évitant soigneusement de dire que c’est l’État qui a ordonné la torture et qui est responsable", détaille-t-il pour France 3 Franche-Comté.

Pourquoi ces faits sont-ils si difficiles à assumer malgré les recherches et les alertes des historiens ? Selon l’historien, il existe une "algérophobie qui couve en France depuis 1962". Selon lui, "il y a une réticence toute particulière à propos de l’Algérie, car la droite et l’extrême droite française n’ont jamais digéré l’indépendance de l’Algérie". Fabrice Riceputi revient sur la polémique qui a entouré les récents propos du journaliste Jean-Michel Apathie, pourtant soutenu dans ses propos par de nombreux historiens. Ce dernier a comparé les massacres commis par la France en Algérie pendant la période coloniale, à celui perpétré par la division SS Das Reich le 10 juin 1944 à Oradour-sur-Glane (Haute-Vienne).

Cette polémique est symptomatique du fait que la France est "extrêmement loin d’assumer son passé. Elle a été capable de le faire avec le régime de Vichy dans la Shoah, avec l’esclavage, elle doit être capable de le faire avec la question de la colonisation", abonde Fabrice Riceputi.

Il se dit particulièrement inquiet de voir de plus en plus de personnes se plonger "dans un bain de négationnisme". "C’est pire aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Au début des années 2000, il y avait une vraie exigence de vérité. Elle s’exprime encore dans la société, mais ce n’est pas elle qui a la parole dans nos élites médiatiques et politiques. On est plus loin que jamais de la lucidité", conclut le chercheur, juste avant de monter dans un train pour Paris où il doit participer à une rencontre-débat "pour la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le recours à la torture en Algérie".

Source :

https://france3-regions.francetvinfo.fr/bourgogne-franche-comte/doubs/besancon/l-etat-a-ordonne-la-torture-et-est-responsable-un-historien-se-bat-pour-que-la-france-reconnaisse-ses-responsabilites-durant-la-guerre-d-algerie-3124759.html


Voir en ligne : "L’État a ordonné la torture et est responsable", un historien se bat pour que la France reconnaisse ses responsabilités durant la guerre d’Algérie

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