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Quand la France a fait de l’Algérie rurale un vaste camp de concentration

samedi 31 octobre 2020, par Michel Berthelemy

Mediapart 19 octobre 2020 Par Rachida El Azzouzi

Dorothée Myriam Kellou a filmé son père Malek dans son retour au pays, à Mansourah, en Algérie, où il n’était pas revenu depuis un demi-siècle, depuis que l’armée française avait transformé son village en un camp de déportation pendant la guerre d’indépendance. C’était en 1955. Ensemble, ils documentent une tragédie occultée : les camps de regroupement.

À Mansourah, tu nous a séparés
est un film bouleversant qui documente une tragédie de grande ampleur largement occultée en France, celle des camps de regroupement de populations pendant la guerre d’Algérie, dont les conséquences ravageuses se font encore sentir aujourd’hui.
Plus de la moitié de la population rurale algérienne a été déplacée de force de son lieu d’habitation d’origine, dans des conditions inhumaines, par l’armée française durant ce conflit que la France n’a nommé guerre qu’en 1999. Elle représente les « derniers grands silenciés » de la guerre d’Algérie, pour reprendre la formule de l’historien Benjamin Stora.
Faute de chiffres précis, on estimait ainsi en 1962 à près de quatre millions le nombre d’Algériens expulsés de leur milieu naturel, déportés et enfermés dans ces camps absents des mémoires collectives, véritables tabous en France mais aussi en Algérie.
« L’objectif des regroupements était d’abord militaire : priver l’Armée de libération nationale (ALN) de tout soutien logistique, voire politique, de la population rurale », rappelle Dorothée Myriam Kellou, que nous retrouvons avec son père dans un petit restaurant du 11e arrondissement de Paris qui respire l’Algérie, tenu par une cousine. Il s’agissait d’anéantir « l’ennemi » en le coupant d’une des forces du pays.
L’objectif était aussi politique : la France entendait placer la population rurale algérienne sous sa surveillance et son influence directes, dans l’espoir de grossir les rangs de sa force armée « indigène », les harkis, ces Algériens musulmans qui ont combattu aux côtés de la France et qui seront totalement méprisés et oubliés par celle-ci à l’indépendance.
Deux types de camps ont prospéré. Avec eux, les maladies, en particulier le choléra et une terrible mortalité, notamment infantile : des camps à base de tentes ou baraquements de fortune créés volontairement par l’armée française dans les endroits les plus hostiles de la ruralité algérienne, soumis à une dureté climatique, aux vents, au froid, à l’extrême chaleur…, et des camps-localités, des villages ou bourgs entiers placés sous surveillance militaire française et ceinturés de barbelés électrifiés, qui rappellent « les hameaux stratégiques » des Américains pendant la guerre du Vietnam.

Malek Kellou avait une dizaine d’années quand son village de Mansourah est devenu un « camp de terreur organisée », quand sa maison a été envahie par plusieurs autres familles déplacées par l’armée française et que la guerre est venue durcir un quotidien fait de survie sous l’effet des décennies de colonisation. Il se souvient de ce jour « comme si c’était aujourd’hui ».
Les tensions étaient maximales, les bombardements au napalm – cette arme incendiaire redoutable, faite d’essence gélifiée, arme de guerre des puissances coloniales que la France n’a jamais admis avoir employée ni pendant la guerre ni dans les années qui ont suivi – étaient de plus en plus fréquents. Ils changeaient la couleur du ciel, détruisaient les récoltes, le bétail, décimaient militaires et civils.
« C’est allé crescendo, témoigne Malek Kellou. Le FLN, créé en 1954, chef de file du mouvement indépendantiste algérien avait brûlé les écoles françaises. Les populations habitant dans les hameaux alentour ont toutes été ramenées à Mansourah par l’armée française, qui a entouré de barbelés le village. Elle nous a laissé deux portes, celle de l’ouest pour emmener nos morts, celle de l’est pour aller chercher de l’eau, car nous n’avions pas d’eau à l’intérieur du village. Dans ma propre maison, nous étions quatre familles. On a tout partagé, l’eau, le pain, les calamités. »
« Lorsqu’on nous a regroupés, poursuit Malek Kellou, nous étions affamés. Nous ne pouvions plus utiliser nos terres, nous étions privés de nos ressources économiques. Soit on se soumettait, on prenait les armes contre le FLN, et l’on devenait harkis et on aurait les “bienfaits” de la colonisation, soit on mourait de faim. »

article complet : https://www.mediapart.fr/journal/international/191020/quand-la-france-fait-de-l-algerie-rurale-un-vaste-camp-de-concentration


L’Algérie des camps : une série de huit pod-casts sur France-Culture : https://www.franceculture.fr/emissions/lalgerie-des-camps

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