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Le Pen en Algérie : lutter contre l’oubli
dimanche 19 janvier 2025, par
Le Pen en Algérie : lutter contre l’oubli
Une série en 3 épisodes de Fabrice Riceputi, publiée par Mediapart en juillet 2023
Jean-Marie Le Pen, fondateur du Front national devenu Rassemblement national, a d’abord revendiqué d’avoir pratiqué la torture avant de faire volte-face. Alors qu’un certain négationnisme se fait jour, Mediapart revient sur les trois mois du lieutenant d’extrême droite à Alger, en 1957, et rassemble des témoignages jusque-là épars.
https://www.mediapart.fr/journal/dossier/culture-et-idees/le-pen-en-algerie-lutter-contre-l-oubli
Episode 1 :
Fabrice Riceputi, 25 juillet 2023
Alger, 1957 : les missions de l’officier de renseignement Le Pen
Lorsqu’il débarque en Algérie, le député poujadiste de Paris, âgé de 29 ans, a connu les défaites de Suez et d’Indochine. Le général Massu a les pleins pouvoirs pour y rétablir l’ordre colonial. Le lieutenant Le Pen est chargé de collecter des informations.
Jean-Marie Le Pen a-t-il commis, en 1957 à Alger, le crime de torture, aujourd’hui considéré en droit international comme un crime contre l’humanité ? La torture a été pratiquée si massivement par l’armée française durant la guerre coloniale en Algérie que la question serait presque anecdotique, s’il ne s’agissait de la personnalité qui est parvenue ensuite à faire du racisme hérité du colonialisme un ressort majeur de la vie politique française durant des décennies.
Déjà posée à l’époque des faits, cette question a ressurgi périodiquement, des années 1980 aux années 2000, dans la presse et devant les tribunaux, dans un contexte de sortie progressive de l’amnésie qui frappait la société française depuis 1962 sur la nature de la guerre en Algérie. Alors que ce qu’on a appelé la « lepénisation des esprits » atteint aujourd’hui en France une sorte de paroxysme, elle vient à nouveau d’être posée de la pire des façons. Avec une désinvolture choquante, une émission à caractère historique de France Inter, de bonne qualité et très écoutée, a en effet récemment cru pouvoir y répondre par la négative.
Or, pour peu qu’on veuille bien replacer les activités du lieutenant Le Pen à Alger dans leur contexte historique, et aussi accorder à la parole de ses accusateurs algériens l’attention qu’elle mérite, le dossier de documents et de témoignages dont nous disposons ne laisse guère de doute à l’historien. Qu’on en juge...
https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/250723/alger-1957-les-missions-de-l-officier-de-renseignement-le-pen
Episode 2
Fabrice Riceputi, 27 juillet 2023
Alger, 1957 : la routine sanglante du « lieutenant Marco »
Chaque nuit ou presque, deux mois durant, Jean-Marie Le Pen se rend au domicile d’un « suspect », accompagné d’une escouade de parachutistes. Ses victimes, quand elles ont survécu, ou leurs proches, ont témoigné au fil des années des tortures subies. Rappel.
Les récits dont on va lire une synthèse sont ceux de victimes et/ou de témoins oculaires. Ils sont tirés du périodique Résistance algérienne (1957), cité par Hafid Keramane dans La Pacification (1960) et Vérité-Liberté (1962), du Canard enchaîné (1984), de Libération (1985), du film de René Vautier À propos de… l’autre détail (1985), du livre de Hamid Bousselham Torturés par Le Pen (2000), du journal Le Monde (2002), du livre de Florence Beaugé Algérie, une guerre sans gloire (2005) et enfin du film de José Bourgarel, La Question : Le Pen et la torture (2007).
Presque tous leurs auteurs ont témoigné plusieurs fois, sans varier, et sont venus le faire en France sous serment lors de multiples procès intentés par Jean-Marie Le Pen dans les années 1980, 1990 et 2000.
Le quotidien de l’officier opérant comme Le Pen au niveau d’une section durant la « bataille d’Alger » nous est connu. Chaque nuit ou presque, sur la base d’un renseignement obtenu d’un interrogatoire réalisé par lui ou par d’autres, ou encore d’une fiche des Renseignements généraux, il se rend au domicile d’un « suspect », accompagné d’une escouade de parachutistes.
https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/270723/alger-1957-la-routine-sanglante-du-lieutenant-marco
Episode 3
Fabrice Riceputi, 29 juillet 2023
« Pas de preuves » : notre bonne conscience coloniale
L’effacement en cours des témoignages qui accablent Jean-Marie Le Pen, y compris par ceux qui n’ont pour lui aucune sympathie, tient à deux facteurs : la parole algérienne reste pour certains illégitime par nature, comme la reconnaissance des crimes de la République coloniale.
À propos… de l’autre détail : ainsi René Vautier intitulait-il en 1985 un film sur le passé tortionnaire de Jean-Marie Le Pen, en référence aux propos de ce dernier selon lesquels les chambres à gaz n’auraient été qu’un « détail » de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale.
Ce détail-là, le passé colonial criminel de l’homme qui répandit ensuite comme personne le poison du racisme dans la vie politique française, n’en est à l’évidence pas un. Pourtant, lorsque l’on rappelle aujourd’hui les origines idéologiques du courant politique aujourd’hui dirigé par sa fille, il est presque systématiquement oublié, de même que la part prise dans sa fondation par d’anciens de l’OAS.
Davantage, une petite musique négationniste se fait parfois entendre à ce sujet. Dans une série documentaire à très forte audience consacrée à la vie de Jean-Marie Le Pen, diffusée par France Inter en mars dernier, le réalisateur, Philippe Collin, par ailleurs peu suspect de sympathie envers Le Pen, a ainsi cru pouvoir affirmer qu’on ne peut pas dire que « le soldat Le Pen a torturé » car il n’y a pas de « preuves ». Cette affirmation pour le moins scandaleuse, découlant d’une erreur factuelle commise par l’historien Benjamin Stora, n’a à ce jour toujours pas été rectifiée comme elle devrait l’être.
https://www.mediapart.fr/journal/culture-et-idees/290723/pas-de-preuves-notre-bonne-conscience-coloniale
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