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La plainte contre les dirigeants israéliens pour « incitation au génocide » à Gaza

vendredi 21 mars 2025, par Gérard C , Michel Berthélémy , Luc Mazenq

par Insaf Rezagui et Nitzan Perelman - sur Yaani - 9 mars 2025. 14 min de lecture

Propos recueillis par les membres du comité de rédaction Nitzan Perelman, docteure en sociologie politique à l’Université Paris-Cité, et Insaf Rezagui, docteure en droit international public à l’Université Paris Cité.

Avocat franco-israélien et enseignant en droit international à Sciences Po, Omer Shatz a déposé avec ses étudiants une plainte devant la Cour pénale internationale (CPI) contre huit dirigeants israéliens pour « incitation au génocide », au nom d’une victime palestinienne. Cette démarche vise à dénoncer l’impunité persistante des dirigeants israéliens et à permettre au peuple palestinien d’obtenir justice. Dans cet entretien, il revient sur son parcours en Israël-Palestine et en France, les raisons qui ont motivé sa plainte et les particularités juridiques du crime de génocide, eu égard à l’importance de démontrer une intention génocidaire.

Le siège de la Cour pénale internationale à la Haye, aux Pays-Bas

En tant qu'avocat israélien, qu'est-ce qui vous a amené à défendre les droits fondamentaux des Palestiniens ?


Je suis né et j’ai grandi en Israël, et mes convictions politiques sont restées inchangées depuis mon adolescence. En tant qu’activiste, je me rendais en Cisjordanie pour apporter mon soutien aux Palestiniens dont les terres avaient été confisquées, notamment dans le cadre de la construction du mur de l’apartheid. À l’origine, je n’avais pas l’intention de devenir avocat, mais les visites répétées dans les tribunaux israéliens après l’arrestation de mes amis m’ont conduit à penser que ma contribution serait peut-être plus significative dans le domaine des différends relatifs aux droits de l’homme plutôt que par le biais des manifestations.


J’ai alors commencé à collaborer avec Avigdor Feldman, le plus éminent avocat des droits de l’homme en Israël, qui, à un certain moment, m’a encouragé à entreprendre des études de droit. J'ai travaillé à plein temps à ses côtés pendant quatre ans, une période au cours de laquelle j’ai disposé de peu de temps pour mes études, mais qui m’a permis d’acquérir une expérience inestimable en matière de litiges dans des affaires politiquement très médiatisées et juridiquement complexes, le tout dans un environnement particulièrement hostile.


Immédiatement après mon inscription au barreau, j’ai cofondé, avec un ami et un collègue, notre propre cabinet d’avocats, spécialisé dans les litiges relatifs aux droits de l’homme devant la Cour suprême israélienne. Notre premier client a été l’International Solidarity Movement (ISM), une ONG composée d’activistes occidentaux venus soutenir les Palestiniens dans les territoires occupés. L’armée israélienne, la police et les services d’immigration avaient pour habitude d’arrêter ces militants en Cisjordanie, de les détenir en Israël, puis de les expulser vers leur pays d’origine. Grâce à nos démarches juridiques, nous avons obtenu l’interdiction de cette pratique par les tribunaux.


Au fil du temps, en représentant d’autres ONG et personnalités, nous avons développé des stratégies juridiques, souvent indirectes, pour contester diverses questions sensibles. Parmi elles, figuraient les assassinats ciblés (Affaire Anat Kam), les colonies (Affaire du juge Solberg) en Cisjordanie, la persécution politique par des poursuites pénales à Sheikh Jarrah, Silwan et Dahamesh, ainsi que les crimes de guerre (Affaire Gallant) et le siège (Affaire du Marmara) à Gaza.


« L'incapacité majeure de la Cour suprême à adhérer à l'état de droit, qui dure depuis des décennies, a fourni la base juridique pour juger aujourd’hui l’Etat d’Israël et ses représentants devant CIJ et la CPI.  »

La stratégie ne consistait pas seulement à gagner les affaires, mais à imposer un contrôle judiciaire sur les politiques gouvernementales et les lois parlementaires inconstitutionnelles. Il s’agissait aussi d’exposer le rôle déterminant de la Cour suprême dans le maintien d’un régime oppressif, considéré, il y a quinze ans déjà, comme une forme apartheid. Ainsi, la défaite subie devant la Cour a eu un double effet. D’une part, elle a remis en cause l’étendue des compétences des tribunaux étrangers, compte tenu du refus constant de la Cour suprême d’intervenir face à ces politiques et ces lois. D’autre part, ces décisions ont symboliquement dépossédé la Cour de son image de bastion libéral dont elle jouissait au niveau international. Cette incapacité majeure de la Cour suprême à adhérer à l'état de droit, qui dure depuis des décennies, a fourni la base juridique pour juger aujourd’hui l’Etat d’Israël et ses représentants devant la Cour internationale de Justice (CIJ) et la CPI aujourd’hui.


Contrairement à l’image véhiculée par les responsables israéliens dans les médias, le système juridique israélien, comme tout autre système national, ne fonctionne pas en vase clos et s’intègre pleinement à l’ordre juridique international. Israël reconnaît la compétence de la CIJ en cas de différend portant sur l’interprétation ou l’application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide. C’est sur cette base qu’elle participe à la procédure engagée contre elle par l’Afrique du Sud qui l’accuse de commettre un génocide contre les Palestiniens de Gaza. Par ailleurs, bien que le gouvernement israélien conteste la compétence de la Cour pénale internationale, il soumet des arguments devant les juges de la Chambre préliminaire I de la Cour pour contester la compétence de la juridiction. Ces arguments ont été présentés dans le cadre de procédures fondées sur les dispositions pertinentes du Statut de Rome, ce qui manifeste en soi une reconnaissance implicite de la compétence de la CPI (ce que le droit international désigne par le principe de « compétence-compétence »).


Selon vous, l'image internationale de la Cour suprême en tant que bastion libéral est-elle erronée ?


Absolument, et la jurisprudence en est la preuve. Pendant 58 ans, la Cour a jugé l’occupation comme légale, la considérant comme une mesure temporaire. Durant cette période, au cours de laquelle la situation sur le terrain devait être « gelée », la Cour suprême a systématiquement légalisé des politiques à la fois irréversibles et illégales, telles que les démolitions de maisons et le transfert massif de centaines de milliers d’Israéliens pour coloniser les terres palestiniennes occupées. Dès le début de la colonisation dans les années 1970, la Cour a eu maintes occasions d'intervenir pour reconnaître l’illégalité de ce processus, mais au lieu de cela, elle a fourni à ce projet colonial une « couverture juridique ».


Il est vain de se lamenter uniquement sur les gouvernements de droite en Israël lorsqu’on constate le rôle déterminant de la Cour suprême dans la légitimation de leurs décisions. Khan Al-Ahmar en est un exemple frappant. Bien que la Procureur de la CPI ait mis en garde contre le risque de crime de guerre lié à la destruction de cette communauté, même le gouvernement le plus fondamentaliste s’est jusqu’à présent abstenu d’agir en ce sens. Pourtant, la Cour suprême israélienne a jugé que cette action était légale, ordonnant la démolition de ce village. Ainsi, ces juges, supposément libéraux, incitent désormais le gouvernement d’extrême droite à commettre potentiellement des crimes de guerre.

Le siège de la Cour suprême en Israël, dont la jurisprudence montre son soutien à l’occupation et à la colonisation

La composition de la Cour suprême est, en elle-même, éloquente : le vice-président de la Cour, Noam Solberg, est un colon, et il n’est pas le seul dans ce cas. Comment peut-on attendre d’un colon qu’il statue sur l’illégalité des colonies, au regard du droit israélien et international, ou qu’il ordonne au procureur général d’enquêter sur ce crime de guerre ? Comment se fait-il qu’un crime « structurel », qui ne nécessite pas nécessairement une présence physique sur le terrain, n’ait pas encore fait l’objet d’une investigation de la CPI alors que l’enquête est ouverte depuis 2021 ?


De plus, d'un point de vue procédural, il est exigé que les juges de la Cour suprême résident en Israël pour être nommé. Or, nous avons fait valoir qu’à moins que la Cisjordanie n’ait été annexée, Solberg vit en réalité en dehors du territoire israélien. Nous avons déposé la requête à Jérusalem et, dès notre retour en voiture à notre cabinet à Tel-Aviv, le jugement avait déjà été rendu, se limitant à une seule page pour valider l’intégralité de la procédure de nomination.


Ces changements au sein de la Cour suprême ont-ils influencé la manière dont vous, en tant qu'avocat israélien juif, représentez vos clients, en particulier les Palestiniens ?


En tant qu’avocat pénaliste, ma mission était de fournir la meilleure défense possible à un accusé palestinien. C’est malheureux, mais en tant qu’homme juif ashkénaze, je partage davantage d’« habitus » avec le juge juif israélien qu’une avocate palestinienne, ce qui fait que je suis plus enclin à être écouté. Lorsque nous travaillions dans des conditions aussi discriminatoires, la question pour moi était de savoir comment résister en tirant parti du degré relatif de liberté et de privilège qui m’est accordé.


Êtes-vous conscient que votre activisme pourrait être interprété comme une manière de normaliser Israël ?


Je ne pourrai jamais adopter le point de vue d’un Palestinien, et je ne cherche même pas à le faire. Né en Israël, avec des parents également israéliens et des grands-parents qui ont immigré en Israël après avoir survécu à la Seconde Guerre mondiale et à l’Holocauste, mon parcours est indélébile. Si les Palestiniens décident de me boycotter, c’est à eux d’en décider, certainement pas à moi. Et il va sans dire qu’ils peuvent très bien se passer de ma contribution.


Mon engagement ne s’inscrit pas dans une démarche « propalestinienne » ou dans l’incarnation d’une identité palestinienne, mais découle de la conviction que la lutte contre ces crimes atroces transcende la politique : elle relève autant de l’intérêt tant des Palestiniens que des Israéliens juifs. Je suis persuadé qu’il ne peut y avoir de paix sans reconnaissance, justice et responsabilité. Si quelqu’un décide de me boycotter pour des raisons stratégiques, un tel boycott institutionnel collectif peut être efficace. Et si quelqu’un me boycotte personnellement, notamment sur la base de mon identité israélienne, c’est également compréhensible.


Je mesure à quel point il doit être difficile pour les Palestiniens, après une année éprouvante, d’accepter qu’au sein du « camp israélien » se trouvent, même en nombre restreint, des personnes qui se rangent de leur côté. Je vois combien il est difficile pour certains de mes amis palestiniens de conserver notre amitié, et il en va de même pour mes amis israéliens. C’est pourquoi je suis extrêmement reconnaissant envers la victime palestinienne que je représente devant la CPI, qui m’a accordé sa confiance. Elle est l’une des personnes les plus courageuses et les plus inspirantes que j’ai rencontrées dans ma vie.


Malgré les succès juridiques, vous avez décidé de quitter Israël et d'exercer votre profession ailleurs. Pourquoi une telle décision ?


Je suis parti faire un troisième cycle à la faculté de droit de Yale, où j’ai reçu une proposition d’emploi émanant de deux avocats français renommés à la tête du bureau parisien d’un cabinet d’avocats international. J’ai d'abord décliné cette offre, parce que je voulais retourner en Israël/Palestine. Toutefois, peu après mon retour en 2014, la guerre à Gaza a éclaté. 500 enfants palestiniens ont été tués en trois semaines. Le souvenir de l’enfant Muhamad Abu-Hadir, brûlé vif par des colons, reste vivace et fut le déclic décisif. J’ai alors quitté mon pays et ma conjointe pour m’installer à Paris.


Par la suite, je me suis rendu en Sicile et à Lampedusa pour travailler sur le terrain auprès des réfugiés, avant d’enseigner à Sciences Po. Avec mes étudiants, nous avons constitué un dossier devant la CPI portant sur les politiques de l’Union européenne (UE) en Méditerranée centrale et en Libye, dossier qui a conduit à la création de front-LEX, une ONG dont je suis le directeur juridique. Sa mission consiste à contester les politiques frontalières de l’UE par le biais de litiges stratégiques devant les tribunaux européens et internationaux. Par ailleurs, il existe un lien évident entre l’acceptation passive et le soutien actif de l’UE à la situation en Palestine, et le fait qu’elle orchestre elle-même depuis une dizaine d’années une opération criminelle visant notamment les réfugiés, y compris les Palestiniens.


Pourriez-vous décrire le processus qui vous a conduit, vous et vos élèves, à déposer plainte devant la Cour pénale internationale au sujet de l’intention génocidaire des dirigeants israéliens ?


J’enseigne trois cours de droit international et européen dans le cadre du programme de master de l’institut. L’un d’eux, coenseigné avec un collègue, a une composante clinique et s’intitule « droit international en action ». Chaque année, nous menons à bien un projet inédit. Puisque le droit accuse souvent un certain retard, j’essaie de choisir un sujet politique qui se déroule en temps réel. Par exemple, il y a deux ans, nous avons travaillé sur le crime d’apartheid, mais le 7 octobre 2023 a rapidement révélé l’urgence de concentrer nos recherches – et, si possible, d’engager des poursuites – sur d’autres crimes internationaux.


J’étais convaincu qu’Israël ne parviendrait pas à se défaire du marécage de la vengeance. Mon seul espoir était que la pression internationale et les alliés politiques d’Israël, notamment les États-Unis et l'Allemagne, le sauveraient de lui-même. Hélas, une fois de plus, cela ne s’est pas réalisé. Certains de mes étudiants étaient visiblement bouleversés, frustrés et se sentaient écrasés et réprimés par les institutions. Moi-même, j’ai ressenti un profond choc, une immense frustration et un sentiment d’impuissance. Les mots me manquaient, comme si ma langue avait été vidée de son sens, incapable de saisir la tournure des événements. Ayant grandi en Israël, on se questionne sans cesse, non pas sur la manière dont les atrocités de la Seconde Guerre mondiale ont pu se produire, mais sur la façon dont des gens ordinaires ont pu les accepter et continuer leur vie quotidienne. Il est une chose de penser connaître la réponse et une autre de la vivre au quotidien.


Mais il y a eu aussi, bien sûr, un silence assourdissant de la part du monde universitaire et de la communauté juridique. Ce n’est qu’avec l’Affaire du génocide devant la CIJ que la situation a finalement été « légalisée » et que l’on a pu donner une légitimité à dénoncer ce qui se passait. Dans une certaine mesure, le débat juridique se révèle réducteur, puisqu’il ignore souvent les contextes historiques et culturels. Sur le plan strictement juridique, certains considèrent ce qui s’est passé à Gaza comme un génocide, tandis que d’autres s’y opposent. Toutefois, ceux qui défendent cette thèse doivent encore en apporter la preuve sur le plan légal. En effet, la définition juridique du crime de génocide est conçue de manière extrêmement restrictive, bien plus étroite que ce que Raphaël Lemkin – le juriste polonais qui a forgé en 1944 le concept de « génocide » – avait à l'esprit, selon moi. Les États qui ont codifié ce crime ont volontairement fixé des critères très élevés, sans doute parce que les États-Unis ne voulaient pas que les atrocités commises à l’encontre des Amérindiens ou les crimes coloniaux européens puissent tomber sous le coup de cette définition.


« Je me focalise, non pas sur le crime de génocide – en raison de la controverse entourant sa perpétration et de la difficulté à en apporter la preuve – mais sur l’incitation au génocide.  »

La Cour internationale de Justice elle-même a ensuite placé la barre encore plus haut et, à ce jour, la juridiction de La Haye n’a jamais jugé qu’un État partie à la Cour avait commis ce crime. En l’absence d’un plan écrit qui permette de mettre très clairement en lumière l’élément intentionnel, il est difficile d’affirmer que l’intention de détruire collectivement un groupe en tant que tel est la seule explication possible. Certes, certains évoquent le « plan général » d’Eiland [mis en œuvre dans le nord de la bande de Gaza à partir d’octobre 2024 pour assiéger et affamer le territoire] ou encore le « plan décisif » de Smotrich [théorisé par le ministre des Finances israélien pour expulser les Palestiniens] comme preuves de cette intention.


Néanmoins, la tendance générale consiste à déduire cette intention à partir du comportement opérationnel sur le terrain, des déclarations politiques et militaires faites au plus haut sommet de l’Etat, ainsi que de leur lien potentiel. Plus généralement, la CIJ n’est compétente qu’à l'égard des États et non des individus. Qu’entend-on par l’intention d’une entité abstraite comme un État ? S’agit-il de la somme des intentions de ses dirigeants ou de celles de ses commandants militaires ? Et si un État devait un jour être reconnu coupable de génocide, quelle sanction appropriée pourrait lui être infligée, puisque l’on ne peut pas mettre un État en prison ?


C’est pourquoi j'ai choisi de concentrer mon attention sur la responsabilité pénale individuelle, les affaires dans ce domaine relevant de la compétence des tribunaux israéliens ou, à défaut, de la Cour pénale internationale, plutôt que sur la responsabilité pénale de l’Etat. De même, c’est aussi la raison pour laquelle, je me focalise, non pas sur le crime de génocide – en raison de la controverse entourant sa perpétration et de la difficulté à en apporter la preuve – mais sur l’incitation au génocide.


L’idée que le génocide est impossible sans que les auteurs aient d’abord été incités à commettre des actes génocidaires est la raison pour laquelle les rédacteurs du Statut de Rome ont distingué ce mode de responsabilité et lui ont conféré le statut de crime indépendant.


Notre analyse a révélé l’implication d’au moins huit ressortissants israéliens dans ce crime, constituant ainsi une base solide pour étayer notre dossier. Cependant, nous avons approfondi notre démarche pour nous assurer qu’une enquête, et le cas échéant des poursuites, soient effectivement engagées.

La plainte de l’Afrique du Sud contre Israël à la Cour internationale de Justice (janvier 2024)

La deuxième phase de notre travail a consisté à nous tourner vers la CIJ et à mener une analyse comparative de son ordonnance de janvier 2024 dans l’Affaire du génocide (Afrique du Sud contre Israël). Nous avons ainsi démontré que la conclusion de la Cour selon laquelle il est « plausible » que les droits protégés des Palestiniens de Gaza en vertu de la Convention sur le génocide soient menacés, équivaut, dans le langage de la CPI, à l’existence de « motifs raisonnables de croire » que des actes génocidaires sont en train d’être commis. Or, cette exigence probatoire devrait obliger le Procureur de la CPI à enquêter et, si nécessaire, à délivrer des mandats d'arrêt.


Enfin, j’ai suivi les procédures nationales en Israël concernant l’incitation présumée au génocide. Conformément au principe de complémentarité en vigueur devant la CPI, ce n’est qu’après que le procureur général israélien a informé la Cour suprême d’Israël, fin novembre 2024, de sa décision de ne pas ouvrir une seule enquête pénale sur cette question, que nous avons soumis l’affaire à la CPI. Dès sa décision de janvier 2024, la CIJ avait pourtant ordonné à Israël de poursuivre et de sanctionner toute personne incitant à la commission du crime de génocide. C’est pourquoi, en citant trois des huit individus que nous avions identifiés, nous avons fait valoir que, compte tenu de l’absence de volonté du procureur général israélien à remplir cette obligation, cette injonction de la CIJ devait être redirigée vers le procureur de la CPI, qui, en n’ouvrant pas d’enquête sur cette question, violerait également cette injonction.


Entre-temps, la CPI a émis en novembre dernier des mandats d’arrêt contre deux des huit suspects qu’on avait identifiés (Netanyahou et Gallant), en déterminant qu’ils ont délibérément créé des conditions de vie visant à entraîner la destruction d’une partie du groupe ciblé, ce qui constitue l’un des actes génocidaires définis par le Statut de Rome, et que cette conduite « semblait se poursuivre ». Les juges de la Chambre préliminaire I de la CPI ont envoyé un message clair sur l’obligation de faire cesser ce crime, et c’est précisément dans ce contexte que l’enquête sur les incitateurs au génocide prend toute son importance.


Pensez-vous que la CPI pourrait inclure le crime de génocide dans les charges retenus dans les mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant, alors qu’actuellement ces mandats se limitent aux crimes de guerre et aux crimes contre l'humanité ?


Les procureurs choisissent toujours la voie la plus sûre, c’est-à-dire qu’ils se concentrent uniquement sur les crimes qu’ils estiment pouvoir poursuivre avec succès et pour lesquels ils sont susceptibles d’obtenir des condamnations, particulièrement dans une affaire aussi inédite et hautement politisée. En revanche, la poursuite pour incitation au génocide – et non pour génocide lui-même – est à la fois simple et directe, ne nécessitant ni présence sur le terrain ni collecte de preuves complexes, puisque son fondement repose sur des déclarations publiques. Par conséquent, cette démarche peut être engagée rapidement et à moindre coût.


Il n’existe donc aucune raison, surtout après le dépôt de notre dossier, pour ignorer ces déclarations. D’autant plus que si elles restent impunies, elles continuent à représenter un risque non seulement dans le cadre de la commission du crime de génocide, mais aussi de tous les autres crimes, et ce non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. Le Procureur de la CPI a donc le devoir de prévenir de nouveaux crimes, et tout l’objectif de notre démarche était non seulement d’indiquer où il pouvait trouver l’intention criminelle que tout le monde cherche – dans les déclarations incitatrices – mais aussi de lui fournir le seul crime qui ne nécessite pas d’attacher cette intention à un acte génocidaire sur le terrain : l’incitation au génocide.


Pensez-vous que votre approche aboutira et qu’elle mènera à un changement significatif de la situation ?


Ma démarche repose sur une approche juridique solide, qui aura un impact sur la recherche académique, les litiges et, potentiellement, sur la manière dont le récit global est façonné. Toutefois, le droit n’est qu’une infime partie de l’histoire et échoue à apporter des réponses aux grandes questions politiques.


« Gaza n’est pas un conflit ordinaire : la plupart des civils n’avaient nulle part où fuir et sont restés piégés sous les bombes pendant plus d’un an.  »

En ce qui concerne la situation dans son ensemble, je reste très pessimiste : je ne vois aucune issue positive à ce stade. La douleur est omniprésente, et il faudra probablement des générations avant qu’une solution à la fois viable et juste puisse émerger – voire, peut-être, qu’elle ne viendra jamais. Actuellement, aucune des parties n’a l’imagination politique nécessaire pour envisager une solution.


J’ai posé cette question à la victime palestinienne que je représente : « Si je te remettais toutes les clés, comment imaginerais-tu l’avenir ? » Sa réponse a été sans équivoque : « Je ne vois rien de possible. » Cette réponse est d’autant plus frappante qu’elle émane de la jeune génération. J’ai alors pensé aux enfants de la guerre de 2014, qui sont aujourd’hui devenus les adultes de cette guerre, et aux enfants actuels de cette guerre – ceux qui ont survécu, les orphelins, les blessés et amputés – que deviendront-ils ? Gaza n’est pas un conflit ordinaire : la plupart des civils n’avaient nulle part où fuir et sont restés piégés sous les bombes pendant plus d’un an. C’est un cas extrême et il faudra des générations pour surmonter un traumatisme d’une telle ampleur, tant pour les victimes que pour ceux qui ont perpétré ces crimes.

Source :

https://www.yaani.fr/post/entretien-avec-omer-shatz-sa-plainte-contre-les-dirigeants-isra%C3%A9liens-pour-g%C3%A9nocide-%C3%A0-gaza

Édition G C


Voir en ligne : Yaani. La plainte contre les dirigeants israéliens pour « incitation au génocide » à Gaza

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