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Journée de la mémoire : Kamel Beniaïche s’exprime dans El Watan. En évoquant au passage l’action de la 4ACG

vendredi 10 juillet 2020, par Michel Berthelemy

Le journaliste Kamel Beniaïche, auteur notamment de Sétif, la fisse commune* revient sur 130 ans de colonisation et salue l’instauration d’une journée nationale de la mémoire. Proche de la 4acg, il avait participé à une table ronde à notre AG de Nant, en 2018.

Propos recueillis par k. Smail, pour El Watan

Initié par le Président de la République, le projet de loi relatif à « la Journée nationale de la mémoire » a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée populaire nationale (APN), que pourriez-vous dire à propos de la décision d’Abdelmadjid Tebboune ?

Lancée à la veille du 75e anniversaire des massacres de Mai 1945, l’initiative est à mon sens un acte de souveraineté. Intervenant dans un contexte national et international à la fois difficile et particulier, l’instauration de la journée nationale de la mémoire est une décision courageuse et historique à la fois. Ciblant un chapitre douloureux de la colonisation française de l’Algérie, l’initiative est saluée par les uns et décriée par d’autres. Pour les Algériens, la démarche brise un tabou. Elle est le fait saillant du début de la mandature de Tebboune.
Faisant dans le déni, un lobby ne reculant devant rien pour falsifier l’histoire, va comme à l’accoutumée, remuer ciel et terre pour la descendre en flammes. Répondant à l’attente des Algériens pour lesquels le « devoir de mémoire » est sacré, la présente loi réparant une injustice, n’a pas été instituée pour remuer le couteau dans la plaie de l’autre, mais pour que vive la « mémoire » des victimes de la violence coloniale. La décision du 7 mai 2020, remet la question mémorielle à la place qui lui sied. Pour diverses raisons, cette décision est, sans démagogie aucune, l’un des plus importants actes politiques des 20 dernières années du pays

La question de la mémoire ne va-t-elle pas plomber toute perspective de réchauffement des relations avec Paris ?

L’histoire et la mémoire impactent depuis la nuit des temps les tumultueuses relations franco-algériennes. L’oubli de l’ancien système gêné par la simple évocation de ces questions hypersensibles, est brisé. Pléthorique en non dits, la décision de Tebboune fera date. Discuté et enrichi par les députés, le dossier de la mémoire est à mon sens un prélude à la réouverture du volumineux chapitre de la criminalisation du colonialisme renvoyé aux calendes grecques par Bouteflika pour lequel les affaires étrangères et singulièrement les relations algéro-françaises étaient de son ressort exclusif. Tant que la France continuera à tourner le dos aux crimes commis en son nom de 1830 à 1962, les relations bilatérales seront à la fois hantées et brouillées par la plaie béante. Contrairement à de nombreuses ex-colonies, les blessures de 130 années de colonisation ne se sont pas cicatrisées

L’adoption du projet va sans nul doute provoquer une levée de boucliers de l’autre côté de la méditerranée, non ?

L’Algérie n’a ni commenté ni dénoncé la décision de la France faisant du 19 mars de chaque année (coïncidant avec la 19 mars 1962 date du cessez-le-feu en Algérie), une journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Les Algériens n’ont pas crié au scandale parce que l’hexagone n’a reconnu la ‘’guerre d’Algérie’’ qu’en 1999. Il n’en demeure pas moins que les néo-colonialistes, les porteurs de la mémoire coloniale, les idéologues et les nostalgiques de l’Algérie française, vont, une nouvelle fois, crier au scandale et au loup.

Faire de la commémoration des massacres de 8 mai 1945 une « Journée nationale de la mémoire » est la date la plus opportune pour rendre hommage aux victimes de 130 ans de colonisation, non ?

La victoire du monde libre a été immaculée par un fleuve de sang, le 8 mai 1945. Ce jour-là, la France coloniale a interdit aux Algériens de fêter la défaite de l’Allemagne nazie. Le mardi noir, les jours, les semaines et les mois suivants, les parents et proches des soldats indigènes qui avaient payé un lourd tribut à Monte-Casino, à Marseille et en Allemagne, ont été sauvagement massacrés. La Journée de la mémoire est une occasion pour ne pas oublier les victimes des enfumades du Dahra perpétrées le 19 juin 1845 par le général Pélissier, sur ordre du général Bugeaud, garder à l’esprit les sacrifices des troupes de Lalla Fatma- N’Soumer (1851-1860), se rappeler le martyre des centaines de déportés en Nouvelle-Calédonie (1864-1921), exiger la libération sans condition aucune des crânes des résistants qui avaient combattu à Zaâtcha (Biskra) l’armée française en 1849, lesquels sont emprisonnés depuis plus de deux siècles dans un musée à Paris (1). Elle devrait permettre aux jeunes générations de faire connaissance avec une facette des crimes coloniaux commis, 1e 8 mai 1945, le 14 juillet 1953 à Paris, le 11 décembre 1960 à Alger et le 17 octobre 1961 à Paris. Elle est en outre instituée pour qu’on n’oublie pas la mémoire des cobayes et victimes des essais nucléaires lancés le 13 février 1960 au sud de la commune de Reggane.

À propos des massacres de mai 1945, croyez-vous qu’une mission française pourrait venir un jour, enquêter et constater les dégâts ?

En octobre 2013, soit 68 ans après, un procureur et un commissaire allemands se rendent à Oradour-sur-Glane. Première du genre, la mission rentre dans le cadre d’une enquête se rapportant à l’abominable crime perpétré par un détachement d’une division SS Das Reich, le 10 juin 1944 à Oradour où ont été massacrées 642 personnes dont 247 enfants. La démarche montre l’état d’esprit de l’Allemagne assumant pleinement son passé. Otage d’une partie de son électorat et des nostalgiques de la colonisation, la France officielle s’abstient à mettre la lumière sur toutes les bavures et atrocités commises pendant 130 ans de colonisation. Soulignons que 75 ans après les massacres du 8 mai 1945, les victimes indigènes n’existent toujours pas dans l’imaginaire des vainqueurs d’hier. Aucune procédure judiciaire n’a été ouverte. Et aucun européen civil ou militaire n’a été poursuivi.

Les turbulences et tumultes affectant les relations entre Alger et Paris sont dans une certaine mesure liées aux questions mémorielles, qu’en pensez-vous ?

Même si l’histoire est un segment important dans les relations franco-algériennes, l’instauration d’une journée dédiée à la mémoire est un fait de politique interne. Contrairement à d’autres puissances (l’Allemagne, l’Italie, le Japon pour ne citer que ces pays), la France refuse de reconnaître les crimes commis en son nom. Les questions mémorielles continueront à impacter les relations bilatérales tant que la métropole ne regarde pas en face son passé colonial.

La question de la reconnaissance demeure d’actualité alors que des officiels français de haut rang ont fait des pas et franchi des lignes…

La politique des petits pas a fait son temps. Candidat à l’élection présidentielle, Emmanuel Macron avait qualifié, en février 2017 à Alger, la colonisation de l’Algérie de « crime contre l’humanité », et de « vraie barbarie ». Face aux critiques de la droite, de l’extrême droite et du lobby représentant les harkis et l’aile dure des pieds-noirs, Macron tempère son discours, renvoie aux calendes grecques la question de la reconnaissance, principal cheval de bataille d’une partie de la société civile française faisant de son mieux pour rendre justice aux victimes de l’infamie.

Tenue à l’écart des années durant, la société civile française mieux outillée et informée est mobilisée pour que la vérité puisse jaillir, un jour ?

Absolument. Des femmes et des hommes politiques de gauche, des universitaires, des philosophes, des historiens, des écrivains, des journalistes, des artistes, des comédiens, des citoyens lambda, de nombreuses associations dont la 4ACG (Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre), l’ARAC (Association Républicaine des Anciens Combattants), les Oranges, des conseils municipaux de nombreuses villes françaises, dont le conseil de Paris, ne cessent de demander à l’État français de reconnaître officiellement les massacres du 8 mai 1945. Pour revenir à la question de la reconnaissance, il me parait judicieux de remettre sur la voie publique la déclaration de Bertrand Delanoë, l’ex-maire de Paris, qui a osé ériger une stèle à la mémoire des victimes de la tragédie du 17 octobre 1961 : « La colonisation est un fait historique particulièrement regrettable […] on ne s’abaisse pas quand on reconnaît ses fautes. » En suivant le conseil de Delanoë, la France qui a reconnu en 1995 son rôle dans la déportation des juifs de France durant la Seconde guerre mondiale serait gagnante dans l’affaire.

Le meurtre de Georges Floyd (USA) et les rebondissements dans l’affaire d’Adama Traoré en France, mettent un terme à de vieux-faux mythes, non ?

Le monde d’après Covid-19 ne sera pas identique à l’ancien. Le racisme, l’esclavagisme et le colonialisme alimentent la chronique bousculée par la mémoire des hommes et des peuples pas du tout, oublieux. Cela étant, la colonisation de l’Algérie n’a jamais été une « mission civilisatrice », faut-il le rappeler une nouvelle fois ! Le moment est venu pour que les générations des deux rives de la Méditerranée connaissent le véritable visage des Bugeaud, Pélissier, Saint-Arnaud, Bourmont, Bigeard, Aussaresses, les autres massacreurs de milliers d’Algériens. L’affaire Adama Traoré donne à réfléchir et va sans nul doute déboulonner des statues et débaptiser des rues. L’ancien ordre est plus que jamais remis en question

Après un premier ouvrage pléthorique en témoignages inédits, peut-on avoir un aperçu sur le deuxième ?

Quatre ans après la publication de Sétif, la fosse commune – Massacre du 8 mai 1945, très bien accueilli par aussi bien les initiés que par les lecteurs d’Algérie, de France et du Canada que je salue pour leurs encouragements, le deuxième ouvrage a été quelque peu freiné par la crise sanitaire de la Covid-19. En plus des témoignages, du listing, le deuxième ouvrage donnera la parole aux archives qui vont pouvoir divulguer des secrets enfouis depuis plus de 75 ans. En dépit du verrouillage de certaines archives encore et toujours inaccessibles, des vérités et informations inédites seront publiées pour la première fois.

75 ans après, l’accès à certaines archives demeure problématique ?

Sans moyens, ce n’est pas du tout évident pour un journaliste de mettre la main sur certaines archives, documents dont les originaux sont frappés du sceau de la confidentialité. Ceci m’amène à dire que la restitution et l’ouverture de toutes les archives n’est pas pour demain …

Une journée pour la mémoire n’est-elle pas le moyen idoine pour sa transmission ?

Pour que nous puissions immortaliser le souvenir de l’absent et rendre hommage aux victimes de 130 années, la transmission de la mémoire doit se faire avec les jeunes générations qui devront s’imprégner des sacrifices des aïeux et faire de ce précieux legs le socle d’un avenir meilleur. L’école, les structures de la culture, de la jeunesse, ainsi que nos représentations diplomatiques en France ont un très grand rôle à jouer en la matière.
Il est de même pour les différents organes de presse n’ayant pas jugé utile de consacrer des espaces à un événement aussi important. J’ai comme l’impression que la question mémorielle est subsidiaire. Il m’est impossible de passer sous silence ce lamentable ratage…

(1) 24 crânes détenus au Musée de l’Homme à Paris ont été restitués à l’Algérie le 3 juillet dernier.

* Sétif, la fosse commune, massacres du 8 mai 1945, Kamel Beniaïche, préface de Gilles Manceron, El Ibriz éditions, 2016

https://www.elwatan.com/edition/culture/kamel-beniaiche-journaliste-et-auteur-linstauration-de-la-journee-de-la-memoire-est-un-acte-de-souverainete-04-07-2020

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