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Enseigner et transmettre les mémoires de la Guerre d’Algérie. Enjeux, ouvertures, interdisciplinarité
lundi 18 janvier 2021, par
Le colloque international qui s’est déroulé à Caen du 7 au 8 octobre 2020, organisé par Anne Schneider et Clarisse Chevalier, en partenariat avec l’Université de Caen Normandie, la Maison de la recherche en Sciences Humaines de Caen (MRSH), l’Institut national supérieur du professorat et de l’éducation de Normandie Caen (INSPE), l’ONACVG et le Mémorial de Caen, questionnait l’enseignement et la transmission des mémoires de la guerre d’Algérie.
C’est dans un contexte de formation, de transmission, de mémoire et de citoyenneté que les conférences ont alimenté les mémoires des protagonistes de la guerre à travers l’histoire et la fiction. La transmission de la guerre d’Algérie et la violence coloniale constituent, en effet, des enjeux toujours vifs au niveau sociétal et en termes de politique d’État.
L’objet du colloque a porté sur la stabilisation historique des savoirs autour de la guerre d’Algérie. Dès l’ouverture, l’omniprésence des marques mémorielles de cette guerre sur le sol français a été explicitée par Abderahmen Moumen, chargé de mission au niveau national pour l’ONACVG, chercheur associé à l’université d’Aix-Marseille. En effet, les plaques de rues, les monuments aux morts, les noms, les statues montrent que la présence de cette guerre est bien réelle et tangible autour de nous.
Sébastien Ledoux, chercheur associé à l’université Paris 1 – Panthéon a montré les évolutions du concept de mémoires et du « devoir de mémoire », expression passée dans l’usage et pourtant bien plus complexe qu’il n’y paraît, autour d’une guerre tout d’abord non nommée comme telle avant 1999 et plutôt qualifiée jusque-là “d’événements”.
Le Colonel Thierry Noulens (Chercheur associé à l’université de Caen-Normandie, s’est proposé d’étudier les tenants et aboutissants de ce pan de l’Histoire, avec ses grandes figures comme Messali Hadj, Ferhat Abbas et le CRUA. Il a mis en exergue l’importance dans tout conflit de la légitimité que cherchent à se donner les belligérants dans le but de s’attirer des soutiens internationaux et populaires.
C’est dans le prolongement de cette idée qu’Anna Trespeuch-Berthelot – Maître de conférences en histoire contemporaine à l’université de Caen-Normandie, a abordé les situationnistes qui, par leurs prises de positions, se sont montrés visibles à travers des écrits dans lesquels s’est développée une pensée critique défendant l’idée d’une révolution ouvrière. En effet, ils et elles appellent à lutter ensemble, en dépassant l’idée du nationalisme et en menant une révolution sociale internationale afin de libérer le peuple algérien. L’Algérie occupe donc une place majeure dans leur réflexion, car elle nourrit leur espoir révolutionnaire et représente le point de départ d’une volonté de renversement du pouvoir.
intervention de Sébastien Ledoux
Par la suite, François Dosse – historien, professeur des Universités, notamment à l’université Paris-Créteil – a évoqué, via la publication de sa biographie du célèbre historien Pierre Vidal-Naquet, la question de la torture durant la Guerre d’Algérie et la création du comité de défense de Maurice Audin, jeune mathématicien français communiste disparu à Alger le 11 juin 1957. Pierre Vidal-Naquet, qui militait en effet contre la torture en Algérie, a été fortement soutenu dans la création de ce comité par de nombreux membres de l’Université de Caen. La question est ainsi posée sur la mission de l’historien-ne : sa position doit-elle relever d’un engagement politique et social ?
Marjorie Jung, docteure en francophonie de Paris IV Sorbonne, aborde les représentations de la Guerre d’Algérie à travers la figure littéraire de l’homme nouveau dans les ouvrages de Frantz Fanon, connu pour son essai Peau noire, masques blancs, où l’auteur dénonce la violence et la lutte qui perdurent depuis longtemps entre l’Algérie et la France. La question de l’homme nouveau est développée, apportant un témoignage de la violence afin de ne pas oublier cette guerre, mais aussi pour dépeindre l’émergence d’une puissance politique révolutionnaire s’ouvrant au monde.
Enfin, dans une perspective mémorielle, Tramor Quemeneur – historien, chargé de cours, Universités Paris 8 et Cergy-Pontoise – a présenté différentes archives sur la guerre d’Algérie qui sont aujourd’hui disponibles. Il a retracé l’histoire de ces archives et a expliqué leurs différentes natures et strates de signification, tout en présentant les utilisations diverses qui en sont faites, notamment dans le cadre de publications historiques.
Enseigner la guerre d’Algérie
Pour transmettre les mémoires de la guerre d’Algérie en classe, il existe différentes ressources. Anne Schneider -Maîtresse de Conférence à l’Université de Caen Normandie, s’est intéressée au média que représente la littérature jeunesse, par les romans mais aussi par des albums et bandes dessinées qui abordent des thématiques variées : la figure du héros, les vies singulières aux destins particuliers des protagonistes de la guerre ou encore les héroïnes, souvent peu connues, de la guerre.
Clarisse Chevalier précise que l’ONACVG a fourni aux établissements scolaires plusieurs outils pédagogiques pour expliquer et commenter la guerre d’Algérie en classe. Pour compléter cette thématique de l’enseignement et de la transmission, Benoît Falaize – Chercheur associé à Sciences Po Paris – a proposé trois axes de réflexion : la connaissance de la guerre dans l’enseignement de l’histoire, l’enjeu didactique et le débat politique qui lie cet enseignement aux valeurs de la République
Enfin, l’intervention de Sylvie Thénault, directrice de recherche au CNRS, a permis d’analyser les différentes appellations de la guerre d’Algérie pour l’enseignant-e. Elle est revenue sur les mots utilisés pour aborder cette guerre en classe, sujet délicat et important.
Partant du concept de post-mémoire développé par Marianne Hirsch, Tramor Quemeneur s’est appuyé sur un corpus de bandes dessinées évoquant la guerre d’Algérie, parues en France, pour soulever la question : comment l’Histoire se construit-elle ? Se transmet-elle de génération en génération ? Par quels moyens ?
Anne Schneider, quant à elle, a analysé le traitement de la question des mémoires de la guerre d’Algérie dans la littérature jeunesse. La question est d’autant plus complexe que la littérature jeunesse qui aborde l’histoire a pour vocation de plaire et d’instruire tout en véhiculant des faits et des images. Avec le temps et la libération de la parole, la façon d’évoquer cet épisode historique a évolué dans ce pan de la littérature. Ces ouvrages sont d’autant plus importants qu’ils peuvent non seulement être porteurs de mémoire mais aussi la transmettre.
Compte-rendu établi par les étudiants de Première année en Master « Médiation Culturelle et Enseignement », INSPE de Normandie – Caen – 2020 / 2021