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Dominique Sopo : ce passé colonial algérien qui colle aux basques

vendredi 2 mai 2025, par Michel Berthélémy

Par Dominique Sopo, président de SOS Racisme. Libération - 28 avril 2025

Entre la France et l’Algérie, les tensions diplomatiques persistent. Alors que l’écrivain binational Boualem Sansal est toujours emprisonné, en France la droite et l’extrême droite instrumentalisent la mémoire coloniale. Ces polémiques médiatiques et ce bras de fer entre gouvernements ne sauraient éclipser la densité des liens intimes tissés entre les deux sociétés.
Les efforts mémoriels insufflés par Emmanuel Macron sont utiles dans la reconnaissance des méfaits du passé. Mais la dimension coloniale de ces violences reste occultée et empêche d’éclairer les racines historiques des discriminations, estime le président de SOS Racisme.

Dernier volet de la série de Libération : France-Algérie, réparer les liens

Il y a quelques jours, disparaissait Yves Boisset (1939-2025), cinéaste qui, à travers ses œuvres, montrait bien, quelques années après la fin de la guerre d’Algérie (1954-1962), ce que notre passé algérien continuait à charrier. R.A.S (1973), film sur le quotidien des appelés de la guerre d’Algérie, et Dupont Lajoie (1975), portrait au vitriol de personnages mus par le racisme anti-arabe, constituent un diptyque qui, cinquante ans plus tard, n’a toujours pas été défait.

Ne le perçoit-on pas à travers la cohérence de Bruno Retailleau, contempteur de l’Algérie le matin, pourfendeur des immigrés, de leurs enfants et des musulmans l’après-midi ?
A vrai dire, le passé algérien nous a légué bien des boulets. Evidemment, des rancœurs qui découlent de la fin de « la plus grande France ».

Mais également des représentations tenaces, à commencer par celle de l’Arabe violent qui n’a été dompté que par l’application d’une brutalité constante, qu’il s’agisse de celle de la conquête ou de l’administration coloniale. Celle aussi de cet Arabe torve, fainéant, voleur et menteur dont les défauts justifiaient qu’on lui apportât les lumières d’une civilisation et qu’on lui administrât les coups destinés à contrôler son corps et à réfréner ses vices.

Eclairer le présent

De ce passé nous échoient enfin des réalités institutionnelles. C’est ainsi la nécessité de surveiller les « indigènes » des colonies d’Afrique du Nord qui commanda dans les années 1920 la création de la brigade nord-africaine (BNA), bref, d’une « police des Arabes » ontologiquement traversée par le racisme. Bien que dissoute en 1945, cette BNA ne resta pas sans lendemain. Entre 1953 et 1960, la brigade des agressions et des violences joua, en réalité, un rôle de surveillance des Algériens d’autant qu’elle fut rapidement rattrapée par les réalités sordides de la guerre d’Algérie.

Le 17 octobre 1961 à Paris, entre 100 et 200 Algériens* qui manifestaient pacifiquement pour réclamer l’indépendance de l’Algérie étaient massacrés par la police. En 1971, Pierre Bolotte (1921-2008), qui avait servi en Algérie française, créait les premières brigades anticriminalité (BAC), dont une partie substantielle du personnel avait là encore servi en Algérie. Leur territoire de baptême fut la Seine-Saint-Denis, où se concentrait une part non négligeable de la diaspora algérienne en France.

Les efforts de reconnaissance mémorielle ont, sous la présidence d’Emmanuel Macron, franchi des caps importants. Ces efforts sont utiles dans la connaissance et la reconnaissance des méfaits du passé. Ils le seraient d’ailleurs encore plus si la dimension coloniale des violences et des mécanismes de domination étaient spécifiés, ce que le Président occulte, mettant là un obstacle à la juste compréhension des phénomènes.

Mais, au-delà, la reconnaissance mémorielle doit aider à éclairer le présent, non pas à l’occulter.
Et ce présent nécessite que soient combattus les fléaux qui s’y enracinent d’autant plus tenacement que leurs racines historiques sont profondes.

Aussi une lutte contre les violences policières

C’est ainsi que l’on peut difficilement comprendre et combattre l’ampleur et la persistance des discriminations raciales – notamment celles qui touchent les populations d’origine maghrébine – sans analyser les représentations et les rancœurs issues du passé de la France en Algérie colonisée. En novembre 2024, une étude de l’Insee montrait qu’en France les enfants d’immigrés venus d’autres pays européens se sentaient moins discriminés que leurs parents immigrés.

A contrario, les enfants d’immigrés venus de pays extra-européens se sentaient davantage discriminés que leurs parents. Cette situation dit quelque chose d’un blocage historique qui n’est pas sans rapport avec le lien entretenu avec un passé colonial dans lequel la partie algérienne occupe une place importante.

La demande de justice et de dignité, c’est aussi celle d’une lutte contre les violences policières dont on sait qu’elles touchent de façon disproportionnée les jeunes d’origine maghrébine et subsaharienne vivant dans des quartiers populaires. Si la filiation avec les polices spéciales et « structurellement » racistes décrites plus haut n’est pas si simple à établir (l’histoire des violences et des répressions empreinte également à la réalité de la répression des « classes dangereuses »), il serait vain de ne vouloir voir dans la longue chaîne des violences à l’endroit des populations d’origine maghrébine – dont le meurtre de Nahel à Nanterre en juin 2023 fut récemment un nouveau et tragique maillon – que des séquences isolées que ne relierait aucun fil.

Libération. Article réservé aux abonnés

https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/ce-passe-colonial-algerien-qui-colle-aux-basques-par-dominique-sopo-20250428_PLJYYZXDXFBJ3NZRTUXO5ZI6SY/

*les historiens parlent de plusieurs milliers d’Algériens, massacrés, noyés ou expulsés vers l’Algérie (ndlr)


Voir en ligne : Libération. Ce passé colonial algérien qui colle aux basques, par Dominique Sopo

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