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Toussaint 2016, dans un cimetière nantais

mercredi 16 novembre 2016, par Anne Doussin , Daniel Caillé

Un cimetière peut être le théâtre de rencontres bien singulières. C’est ce que nous raconte Daniel Caillé. Sa compagne, Denise Buonomano, décédée l’année dernière, avait publié sur le blog "Mémoires à suivre" un très beau témoignage : son rejet du racisme et le passage difficile de la culture d’une Pied-noire en Algérie à celle d’une Algérienne pied-noire en France.

L’autre jour, à l’occasion de la fête dite de la Toussaint, j’ai fait la tournée rituelle des cimetières. Sur la tombe de ma compagne, j’y retourne fréquemment, ne serait-ce que pour entretenir les compositions florales offertes par nos ami-e-s et qui persistent encore à ne pas dépérir. Cet été, il a néanmoins fallu les arroser souvent.

Je suis allé aussi sur la tombe de mes parents – cimetière St Jacques, quartier St Jacques, commune de Nantes – et de mes beaux-parents, comme nous le faisions tous les ans. Les cimetières étaient plein de monde, qui grattant, qui ratissant, qui javellisant, qui brossant, qui se recueillant, qui déposant les traditionnelles chrysanthèmes sur les dernières demeures de leurs proches se reposant là depuis, pour certains, bien des décennies. Une fois par an, à l’occasion de la Toussaint – fête à la fois religieuse et païenne (Samain chez les Celtes)- on pense à eux, rien à dire là-dessus.

C’est au cimetière St Clair, quartier Chantenay, commune de Nantes, qu’il m’est arrivé une anecdote qu’il me démange de vous narrer. En entrant dans l’enclos des sépultures, je constatais que des hommes noirs ou blancs de peau, un râteau à la main, nettoyaient les allées encombrées d’aiguilles de conifères et qui formaient un amas compact voire boueux.

Je salue les besogneux œuvrant autour de la tombe de mes beaux-parents, je dépose mon pot de fleurs et m’apprête à nettoyer la tombe recouverte aussi de ces feuilles mortes. Je sentis une main se poser sur mon épaule. Je me détournais surpris. C’était un des ouvriers qui me montrait ses mains gantées et me fit comprendre qu’il allait nettoyer le monument étant mieux outillé que moi.

Il se mit à genoux pour être plus à l’aise, mis la main sur son cœur me regardant dit « Allah » et de l’autre main me montrant le crucifix placé sur la tombe (Ma belle-mère était d’origine Corse très croyante) « pareil Dieu », ajouta mon homme dans son français difficile. En clair : Allah et la Divinité des Chrétiens c’est le même Dieu. Je l’approuvais bien sûr, n’allant pas entrer dans une discussion sur le fait religieux, cela aurait été hors sujet.

Nous échangeâmes un peu, je lui appris que mes beaux-parents étaient des réfugiés d’Algérie, venant de Souk-Ahrras. Content comme tout, le brave homme - qui n’était pas de la première jeunesse - me précisa être d’un village proche dont j’ai oublié le nom. En le quittant, je lui serrais la main en le remerciant, il avait un regard joyeux et pétillant, et semblait me dire « As-tu compris ce que je voulais te dire ? ».

Bien sûr que j’avais compris le message de concorde que tu voulais m’adresser à travers le service que tu me rendais. Qu’Allah et le Dieu des Chrétiens te protègent mon camarade ! Puisque à ton avis c’est le même.

Un qui a dû se retourner dans son cercueil, c’est bien mon beau-père. Un Arabe lui a nettoyé sa tombe, rendez-vous compte, lui qui agrémentait parfois ses conversations de propos à connotation raciste. Ce qui avait le don d’exaspérer au plus au point sa fille (ma compagne). Les origines de son humanisme et son antiracisme venaient sans doute de là, par réaction. Elle qui se disait « Algérienne pied-noire » (c’était sa volonté) aurait été enchantée d’avoir connu cette scène.

Daniel Caillé 27/10/2016

Vous pouvez lire ici le témoignage de Denise Buonomano publié sur le blog.

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