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Témoignages scolaires sur la guerre d’Algérie au lycée polyvalent Maryse Condé de Sarcelles le 27 février 2024

dimanche 3 mars 2024, par Gérard C. Webmestre , Christian Travers

C’est à l’occasion du Maghreb des Livres, qui cette année s’est tenu le dernier week-end d’octobre, que j’ai fait la connaissance de Hassen Ben Lahoual, professeur d’histoire géographie au lycée polyvalent Maryse Condé de Sarcelles. Sans trop d’efforts, j’ai pu le convaincre d’organiser une séance de témoignages dans son lycée.

Sarcelles, une des villes du nord de la région parisienne connue pour la diversité des populations qui l’habitent. Une rencontre qui promettait d’être intéressante et utile compte tenu des représentations hétérogènes que pouvaient se faire les élèves des acteurs et des circonstances de la guerre d’Algérie.

Les témoins

J’ai pu rassemble pour ce rendez-vous, comme je m’efforce chaque fois de le faire :
 un ancien militant du FLN, en l’occurrence Rahim Rezigat, qui a été incarcéré dans les camps du Larzac et de Thiol, puis rescapé du massacre du 17 octobre 1961 et qui a pu ensuite échapper à la conscription en fuyant en Allemagne.
 un ancien harki, en l’occurrence Messaoud Guerfi, qui a pris cet engagement pour rester près de sa mère et ses jeunes frères et sœurs, dont le père et 6 autres membres de sa famille ont été assassinés par le FLN et qui devint instituteur puis traducteur en Algérie avant de pouvoir fuir en France pour échapper aux tortures dont il avait été victime.
 une juive de Constantine, en l’occurrence Jacqueline Messaoudia Gozland, dont le père a été victime d’une bombe alors qu’elle n’avait que deux ans. Avec sa mère, craignant le pire, malgré les liens très forts qu’elle avait avec la communauté musulmane, elle émigra en France avant l’indépendance.
 un ancien appelé en Algérie, Christian Travers, marqué par cette guerre imbécile, soucieux de transmettre sa vérité et de contribuer à plus de fraternité que ce soit en Algérie ou en France entre le peuple algérien et le peuple français.

Questions et interrogations d’élèves

Après une introduction par la proviseure, une brève présentation du professeur, j’ai pu évoquer la complexité de cette guerre, les occasions manquées pour éviter cet affrontement, les luttes internes entre Français et aussi entre Algériens, et la nécessité de déconstruire des récits qui peuvent envenimer encore aujourd’hui les relations entre les deux pays.
Vint le tour ensuite, comme à l’accoutumée, le récit de 10/15 minutes de chacun des intervenants avant la séance de questions/réponses.
Nous avions deux heures trente à notre disposition. Il y avait dans l’amphithéâtre quelques professeurs une bonne soixantaine d’élèves adultes : 2 classes de terminale bac professionnel et des élèves de BTS dont certains préparaient l’entrée au concours de sciences politiques

Voici quelques questions que j’ai pu noter :

Monsieur Guerfi, vous avez pu quitter le sol algérien dans le coffre d’une voiture grâce à l’aide d’un officier de L’ALN. Comment pouvez-vous l’expliquer ?

MG : C’était un être humain, il a voulu en sauver un autre qui souffrait. Il m’a même fourni de faux papiers. Ma mère, elle, est restée en Algérie. Elle a pu récupérer les biens qui provenaient de ses parents. En revanche ceux qui étaient à mon père ont été spoliés. Elle n’a pas pu les récupérer.

Monsieur Guerif, regrettez-vous le choix que vous avez été amené à faire ?

MG : Non, je n’ai fait de mal à personne, je n’ai jamais porté une arme, et j’ai aidé à vivre mes frères et sœurs. Les harkis ont été victimes des Algériens et des Français.

Monsieur Guerfi, êtes-vous retourné en Algérie ?

MG : Non c’est trop traumatisant pour moi.

Monsieur Travers, comment expliquez-vous que vous ayez accepté votre incorporation et que vous soyez allé en Algérie alors que vous trouviez légitime le combat des Algériens, que vous pressentiez que cette guerre tournerait au fiasco ?

CT : Tous les partis politiques et tous les gouvernements de l’époque n’envisageaient pas de donner l’indépendance à l’Algérie. Un citoyen se doit, en principe, se soumettre aux lois de la République. J’étais un jeune homme isolé, je ne me voyais pas résister à ses injonctions et il se peut que j’aie pensé que ce serait lâche de ne pas accompagner mes camarades.

Monsieur Travers, êtes vous retourné en Algérie, si vous y êtes allé quel accueil avez-vous reçu ?

CT : Oui, j’y suis allé dès la fin des années noires, en 2000 et 2001, pour fonder une société d’édition à Alger, la SEDIA (Société d’Édition et de Diffusion Internationale, Algériennes). Quelle émotion au moment de l’inauguration alors que j’avais été instituteur là-bas ! Et puis deux fois avec des membres de mon association, plusieurs autres fois pour des randonnées à partir de Tamanrasset et Djanet et encore pour un voyage touristique.
Dans leur pays, la chaleur de l’accueil des Algériens est formidable. « Ah ! Des Français, soyez les bienvenus », « vous êtes ici chez vous », et si l’on évoque la honte qui reste en nous d’avoir participé à cette guerre : « oubliez ça, c’est du passé, nous sommes des frères ».

Monsieur Guerfi, vous avez été torturé, en gardez-vous des traces ?

MG : oui elles sont nombreuses et marquent encore mon corps, mais j’ai pu vite me reconstruire en France, avoir un bon métier, fonder une famille et j’ai aujourd’hui 4 enfants et de nombreux petits enfants.

Monsieur Rezigat, même question avez-vous été torturé ?

RR : Non j’ai subi plusieurs emprisonnements longs et dans des conditions très difficiles et aussi des brutalités mais en France ce n’était pas pareil qu’en Algérie.

Madame Gozland, vous avez parlé de l’Algérie avec une incroyable chaleur. Les chants, la danse, les musiques, la culture arabo-juive… imprègnent votre personnalité. Êtes-vous retournée en Algérie ?

JMG : Oui très souvent. J’y suis invitée pour des festivals de cinéma, mais malgré mon envie je n’ai pas encore osé retourner à Constantine.

Monsieur Rezigat, aurait-on pu éviter cette guerre et les souffrances et les morts que cette guerre a entraînés ?

RR : Personnellement je ne le crois pas. La résistance des colons et des pieds-noirs était totale et les ressources en gaz et en pétrole du Sahara que la France voulait garder à tout prix constituaient des obstacles. La violence de la colonisation et l’injustice éprouvée par les Algériens constituait un arrière-fond que les Algériens ne pouvaient oublier.

Quelles étaient les règles qui régissaient les relations entre les « musulmans algériens » et les « Européens » ?

Il y avait le code de l’indigénat qui définissait un droit diffèrent entre les deux communautés. Il était profondément injuste, y compris pour les élections. Les immigrants d’origine européenne étaient assimilés. Et les juifs ont été soumis à des aléas : Assimilation au 19 e siècle, perte de leur statut sous les gouvernements de Vichy, rétablissement de leurs droits à la libération. Les Berbères et les juifs, les premiers habitant de l’Algérie avaient sur bien des points une culture commune et ils habitaient souvent les mêmes quartiers mais la politique française a contribué à les éloigner.

Christian Travers

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