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Un petit livre pour un rappel essentiel...

"Le droit de désobéissance" d’Anne Simonin

Les Éditions de Minuit en guerre d’Algérie

mercredi 30 janvier 2013, par Hubert Rouaud

La plupart des appelés en Algérie sont partis sans imaginer ce qu’ils allaient trouver de l’autre coté de la Méditerranée. Ils étaient assourdis par une propagande gouvernementale. Et, sur la terre d’Afrique, l’armée leur interdisait les journaux contestataires, leur réservant sa bonne parole dans son journal "Le Bled". Mais en métropole des éditeurs courageux comme les Éditions de Minuit refusaient le silence ou la complicité. Pour faire connaître les témoignages ils bravaient la censure, subissant saisies et procès au risque de fermer boutique.

Un petit livre qui nous apprend beaucoup...

Visitant l’exposition "Paris en guerre d’Algérie" qui s’est terminée le 10 janvier, j’ai emporté un petit livre offert aux visiteurs : " Le droit de désobéissance" d’Anne Simonin. Un document qui rappelle les 23 publications des Éditions de Minuit consacrées à la guerre d’Algérie durant la période de 1957 à 1962... et les péripéties pour les éditer et les diffuser.

Bien sûr, cette maison d’édition, dirigée par le courageux Jérôme Lindon, avec l’aide précieuse de Pierre Vidal Naquet, n’était pas la seule à parler de la guerre d’Algérie. En effet, on recense, entre 1955 et 1962, 253 ouvrages publiés par 19 éditeurs qui ont été consacrés à cette guerre.
Mais sur 20 livres saisis, tous concernèrent les Éditions de Minuit et les Éditions François Maspéro, qui se partagèrent à égalité cette manifestation de la censure gouvernementale.

L’évolution de l’éditeur

Le livre d’Anne Simonin rappelle que l’objectif de Jérôme Lindon fut d’abord de défendre l’honneur de la France. Car il l’estimait sali par des exactions comme la torture. Il en vint ensuite à défendre ceux qui refusaient de combattre en Algérie en publiant des livres de déserteurs. Ceux qui aidaient la lutte du FLN purent également s’exprimer aux Éditions de Minuit.

Dans le tableau du livre récapitulant les informations judiciaires ouvertes contre J.Lindon et ses amis, on retrouve des motifs assez explicites comme "atteinte au moral de l’armée", "diffamation de la police", "incitation de militaires à la désobéissance" ou "provocation à l’insoumission et désertion".

Des procès furent perdus et des livres réédités par d’autres médias ou à l’étranger. Mais rien n’arrêta J. Lindon. Il n’hésita pas à éditer discrètement le manifeste des 121 intitulé " Déclaration sur le droit à l’insoumission".

Redécouverte de livres

En revenant de l’exposition parisienne, c’est avec beaucoup d’émotion que j’ai retrouvé sur mes étagères plusieurs de ces livres achetés de 1958 à 1961 et portant les signatures d’Henri Alleg, Pierre Vidal Naquet ou Robert Davezies. Et dans mon exemplaire de "La question" de 1958 il y a encore la pétition signée par Malraux (eh oui !) Martin du Gard, Mauriac et Sartre, pour protester contre la saisie du livre ( photo jointe). Malraux en 1960 était devenu ministre... et il oublia un peu son premier engagement. [1].

Je redécouvre aussi un livre dont l’importance m’avait échappé : " Le droit à l’insoumission (le dossier des 121)" le "Cahiers Libres" N°14 chez François Maspéro. Ce livre nous renseigne sur le Manifeste et la liste des signataires.
Il relate aussi les réactions pas toujours favorables de la presse et des associations [2]. Il interroge des signataires illustres ( Sagan, Signoret, Butor, Nadeau, Sarraute....) et reproduit les interventions d’opposants virulents, les déclarations de philosophes, de syndicalistes et de médias étrangers.

Il présente aussi les motions de grands partis politiques. [3]
Mais surtout il raconte les deux mois du procès du réseau Jeanson en l’accompagnant d’une chronologie conjointe des évènements d’Algérie qui nous révèle un contexte un peu oublié. [4] Au cours de ce procès J. Lindon, parlant de ses deux fils, fera une déclaration courageuse qui fait bien comprendre son combat : "je préférerais mille fois les voir déserteurs que tortionnaires".

On ne saurait trop les remercier

Comment exprimer ma gratitude à ces éditeurs qui contribuèrent à notre prise de conscience, à la possibilité d’avoir un regard lucide sur la prétendue pacification. Je suis certain que sans ces témoignages répandus grâce à leurs initiatives, il y aurait eu encore beaucoup plus d’appelés partant sans connaître la réalité et parfois même avec "la fleur au fusil", avant d’être pris au piège de la propagande et des horreurs de la guerre.

Aujourd’hui si je ne suis pas tourmenté par mes souvenirs de cette guerre, si je ne fais pas partie des 300.000 traumatisés qui en sont revenus, c’est bien grâce à ces éditeurs courageux et à leurs auteurs et - ne soyons pas ingrats- aux organisations politiques qui m’y avaient conduit, même si au moment du départ elles me laissèrent un peu trop dans l’incertitude. Ces "lanceurs d’alerte" de l’époque m’ont permis d’aborder la guerre sans aucune illusion et, la chance aidant, d’en limiter modestement les dégâts tout en préparant localement les conditions à l’issue la plus favorable possible.

Une partie des 23 livres cités a été rééditée par les Éditions de Minuit. Ils sont signalés dans le document. N’hésitez pas à vous les procurer.





Voir en ligne : Téléchargement gratuit du livre de 63 pages.


[1Mais l’OAS ne l’oublia pas en plastiquant son domicile, provoquant de profondes blessures à une victime non visée : Delphine Renard.

[2L’UNC -cela ne vous étonnera pas- "...exige des sanctions impitoyables contre les inconscients, et surtout contre les traîtres..."

[3Le PC et le PSU s’opposent aux condamnations des 121 mais refusent aussi l’insoumission et la désertion.La SFIO dénonce " l’aberration tragique" des français complices du FLN ou qui encouragent l’insoumission.

[4On s’aperçoit qu’à la fin 1960 beaucoup d’appelés perdent encore la vie dans une Algérie soit-disant pacifiée.

Messages

  • Merci Hubert pour ce texte rappelant que certains ont soutenu avec raison le refus de cette guerre abominable. Ils n’étaient pas nombreux. Sachant qu’il ne faut jamais y aller (à la guerre), car désobéir à l’armée, c’est possible malgré ce que disent certains, mais par expérience, c’est tout de même extrêmement difficile !

  • à défaut d’avoir eu le courage frontal des insoumis comme Jean Clavel, j’ai récemment et pour les mêmes motifs qui ont poussé jadis le "soldat le plus décoré de France " à rendre au chef des Armées sa Légion d’Honneur, j’ai donc remis par courrier du 31 octobre 2012 au Président de la République "ma" croix de la"Valeur Militaire" qui aurait pu laissé supposer par sa dénomination que j’aurais pu participer aux exactions qui ont fait la valeur militaire des troupes " d’élite "du genre Bigeard ...
    Je pourrais au besoin joindre une Photocopie de mon corrier à l’Association ...

    NB la seule réponse à ce courrier s’est perdue dans les sables du Mali ou de Centre Afrique ....
    Kien la paco ?(où va la Paix ? ) à l’Ile Longue, près d’ici ...

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