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Lettre culturelle franco-maghrébine #65 de Coup de Soleil Auvergne Rhône-Alpes

lundi 12 décembre 2022, par Michel Berthelemy

Le roman peut être inspiré par l‘autobiographie, ce qui est le cas de celui de Fawzia Zouari, « Par le fil je t’ai cousue » ; ou bien il prend la forme d’une fresque plus vaste, portant sur plusieurs individus et générations comme dans « Soleil amer » de Lilia Hassaïne. Il peut aussi, à partir d’un cas particulier, affirmer une tendance ethnographique, comme le fait « La Nuit de l’Amazone » de Bernard Zimmermann, ou une ambition historique comme on trouve dans le livre-enquête auquel a participé Tramor Quemeneur, « Mourir à Sakiet ». A suivre aussi le témoignage très personnel, littéraire et souvent poétique du Marocain AbdallahTaïa dans « Vivre à ta lumière ». Enfin nous attirons avec force l’attention sur un film, « De nos frères blessés » par Hélier Cisterne, d’après le livre de Joseph Andras (2016) dont nous avons déjà parlé : L’acteur Vincent Lacoste y joue excellemment le rôle de Fernand Yveton, accusé de terrorisme et guillotiné par l’Etat colonial au début de la Guerre d’Algérie.

« PAR LE FIL JE T’AI COUSUE »
par Fawzia Zouari, éditions Plon, 2022

L’auteure, franco-tunisienne, est déjà connue pour quelques autres livres et pour ses activités en France, que ce soit à l’institut du Monde arabe ou au journal Jeune Afrique. Ce qu’elle nous donne à lire ici est un livre de souvenirs qui remontent à sa petite enfance et à sa première adolescence.
A côté de moments presque insoutenables par l’évocation de la violence que la mère exerce— à quoi il faut ajouter celle du harcèlement sexuel subi de la part des hommes, à commencer ceux de la famille— on trouve aussi dans ces souvenirs des moments d’une grande poésie et la volonté de les restituer par la qualité du style. Le ton du livre n’est pas celui de la revendication mais plutôt celui plus intime d’une recherche personnelle qui est sans doute destinée à se poursuivre comme un cheminement et non à s’épuiser dans le cri d’une dénonciation univoque.

« SOLEIL AMER » par Lilia Hassaine, éditions Gallimard, 2021

L’histoire s’étend sur plusieurs décennies et se passe entièrement dans la banlieue parisienne, si ce n’est un prologue et un épilogue fort courts précisément situés dans les Aurès en Algérie sur le site romain de Djemila, et qui enferment tout le livre entre deux dates, 1959 et 1997. En fait l’histoire s’achève vers la fin des années 80 quand l’un des principaux personnages meurt du sida et lorsque tous ceux et celles qu’on a connu(e)s enfants sont devenu(e)s adultes.

« LA NUIT DE L’AMAZONE », roman enquête par Bernard Zimmermann, L’Harmattan, 2022
Au cœur de cette histoire, à la fois personnelle et collective, il y a l’expérience de la migration, due à l’extrême pauvreté des paysans espagnols nés à cette époque au sud de l’Andalousie, dans une région un peu mystérieuse, en tout cas moins bien connue que d’autres, les Alpajurras, qui s’étendent de la Sierra Nevada à la Méditerranée, entre Grenade et Alméria.
Bernard Zimmermann nous fait découvrir, comme il l’a fait lui-même, tout ce que la personnalité de Magdalena doit à cette région particulièrement difficile d’accès et dont les caractères, de ce fait, ont sans doute été mieux préservés que dans d’autres lieux plus ouverts aux échanges. C’est ainsi que toute une littérature populaire orale y était encore présente, bonheur sans égal pour la jeune Magdalena mais sans doute pour d’autres aussi des paysans migrants qui en emportaient des fragments avec eux, dans cette Oranie alors française où ils allaient s’implanter, faute de pouvoir vivre là où ils étaient nés.

« MOURIR À SAKIET, ENQUÊTE SUR UN APPELÉ DANS LA GUERRE D’ALGÉRIE » par Véronique Gazeau-Goddet et Tramor Quemeneur, PUF, 2022
Ce livre est une bonne illustration du type de travail que font certains historiens actuels soucieux de diversifier le matériau sur lequel ils s’appuient, qu’il leur faut d’abord trouver et élaborer avant d’établir un certain nombre de faits et d’en tirer d’éventuelles conclusions. Le travail qui nous est donné à lire par ses deux auteurs est en effet une enquête, dans un milieu très difficile puisqu’il s’agit d’opérations militaires qu’on préférait peut-être, sans doute, garder partiellement secrètes pendant la guerre d’Algérie. Le fait principal dont il est question ici date du 11 janvier 1958 : ce jour-là mourut dans une embuscade un aspirant de l’armée française, Bernard Goddet, dont on aura remarqué que le nom est aussi celui d’une autrice du livre, qui en effet lui est apparentée. Mais ils furent au moins quatorze soldats français à mourir ce jour-là, parfois affreusement mutilés, tandis que quatre autres étaient faits prisonniers et gardés en otages.


« VIVRE À TA LUMIÈRE » 
 par Abdallah Taïa, roman, éditions du Seuil, 2022
 
On ne peut avoir aucun doute sur la personne à laquelle l’auteur s’adresse dans son titre puisqu’il dédie le livre à sa mère « M’Barka Allali (1930-2010) » qui s’exprime dit-il par la voix de son héroïne Malika. De plus, en raison d’une idée reçue concernant le rapport des homosexuels à leur mère, on s’imagine que ce supposé roman sera en fait un hommage du fils à sa mère, objet d’un immense amour et unique personnage de femme qui puisse trouver place dans sa vie, aux dépens de toute autre qui tenterait d’y tenir la place d’épouse. Or ce n’est pas cela que décrit « Vivre à ta lumière », qui est un livre original et n’importe quelle est en lui la part d’autobiographie concernant les faits eux-mêmes, l’important étant les opinions qui s’y expriment de manière complexe, comportant à la fois les valeurs que font apparaître les comportements de Malika et leur critique par d’autres personnages, porte-paroles semble-t-il de l’auteur Abdallah Taïa.

« DE NOS FRÈRES BLESSÉS », film de Hélier Cisterne, France-Belgique-Algérie 2020
 
La sortie de ce film tourné en 2019 n’a cessé d’être reportée pour cause de covid. Mais de toute façon le sujet en était connu puisque le film de Hélier Cisterne est inspiré du livre de Joseph Andras paru aux éditions Actes Sud en 2016 et en reprend le titre. On savait peut-être moins que le film était entièrement consacré au jeune militant communiste Fernand Yveton qui fut le seul Européen guillotiné pendant la Guerre d’Algérie et que de ce fait le choix de l’acteur chargé d’interpréter son rôle serait déterminant. Or on a grand plaisir à constater que l’interprétation qu’en donne Vincent Lacoste est absolument convaincante, ce qui ne minimise en rien le rôle de l’actrice, Vicky Krieps qui joue le rôle de sa femme Hélène. Les événements racontés se passent au tout début de la Guerre d’Algérie à partir de 1954, et Fernand Yveton fut guillotiné le 11 février 1957, à une époque où François
Mitterrand était Garde des sceaux, ce que le film tient manifestement à souligner, car il est certain qu’il aurait pu gracier le condamné et qu’il ne l’a pas fait.

https://www.coupdesoleil-rhonealpes.fr/category/lettre-culturelle-franco-maghrebine

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