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Juin 1845, les enfumades du Dahra

dimanche 26 avril 2020, par Anne Doussin , Jean-Claude Doussin

En 1837, après plusieurs années de combats, un traité de paix est signé par l’émir Abdelkader et le général Bugeaud. Le jugeant trop défavorable pour elle, la France dénonce le traité et reprend la guerre.

Après la reddition d’Abdelkader, les méthodes de répression sont de plus en plus brutales, jusqu’aux razzias et aux enfumades. C’est ainsi qu’en 1845, le colonel Pélissier, sous les ordres de Bugeaud, asphyxie un millier d’hommes, de femmes et d’enfants qui s’étaient réfugiés dans les grottes du Dahra. Secondant Pélissier, le maréchal de Saint-Arnaud écrit à son frère en date du 27 juin 1845 :

"Le colonel Pélissier et moi, nous étions chargés de soumettre le Dahra, et le Dahra est soumis. Pélissier est plus ancien que moi et colonel d’état-major, j’ai agi avec lui avec déférence. Je lui ai laissé la plus belle part, il était d’ailleurs entré dans le Dahra longtemps avant moi. Les journaux te donneront les tristes détails des extrémités où Pélissier a été obligé d’en venir pour soumettre les Ouled-Riah qui s’étaient réfugiés dans leurs cavernes. Terrible, mais indispensable résolution ! Pélissier a employé tous les moyens, tous les raisonnements, toutes les sommations. Il a dû agir de rigueur. J’aurais été à sa place, j’aurais fait de même ; mais j’aime mieux que ce lot lui soit tombé qu’à moi. Les journaux philanthropes ne vont pas manquer de s’emparer de ce fait pour attaquer encore l’armée d’Afrique. Si l’on a dit que je me promenais le fer, la hache et la torche à la main, que dira-t-on de Pélissier, brave et excellent officier, mais à l’écorce rude ? Je voudrais bien que vos journalistes de Paris fissent une campagne avec nous !"

Entrée des grottes

Le 15 août, le même Saint-Arnaud écrit à nouveau à son frère :

"Le même jour, 8 août, je poussais une reconnaissance sur les grottes ou plutôt cavernes, deux cents mètres de développement, cinq entrées. […] Le 9, commencement des travaux de siège, blocus, mines, pétards, sommations, instances, prières de sortir et de se rendre. Réponse : injures, blasphèmes, coups de fusil... feu allumé. 10, 11, même répétition. Un Arabe sort le 11, engage ses compatriotes à sortir ; ils refusent. Le 12, onze Arabes sortent, les autres tirent des coups de fusil. Alors je fais hermétiquement boucher toutes les issues et je fais un vaste cimetière. La terre couvrira à jamais les cadavres de ces fanatiques. Personne n’est descendu dans les cavernes ; personne... que moi ne sait qu’il y a là-dessous cinq cents brigands qui n’égorgeront plus les Français.
Un rapport confidentiel a tout dit au maréchal, simplement, sans poésie terrible ni images.
Frère, personne n’est bon par goût et par nature comme moi. Du 8 au 12, j’ai été malade, mais ma conscience ne me reproche rien. J’ai fait mon devoir de chef, et demain je recommencerais... "

Des méthodes reprises plus tard...

Le plus remarquable, comme le souligne François Maspero dans « L’Honneur de saint-Arnaud », c’est qu’il ne s’agit pas ici d’improvisation débouchant sur un « accident », mais bien de suivre à la lettre la consigne écrite de Bugeaud : « Fumez-les à outrance ». A la fin de son rapport, Pélissier confirme : « Dès lors, je n’eus plus qu’à suivre la marche que vous m’aviez indiquée ».
Le général Bugeaud, marquis de la Piconnerie (sic) avait d’ailleurs prévenu dans son discours à la Chambre du 24 janvier 1845, soit cinq mois plus tôt : « J’entrerai dans vos montagnes ; je brûlerai vos villages et vos moissons ; je couperai vos arbres fruitiers, et alors ne vous en prenez qu’à vous seuls ».

Rappelons qu’un siècle plus tard, en mai et juin 1945, les troupes françaises menaient une répression féroce à Sétif, Guelma et Kherrata, massacrant des milliers d’hommes, femmes et enfants. Renouvelant ainsi les méthodes utilisées par leurs prédécesseurs.
Olivier Le Cour Grandmaison souligne (réf. ci-dessous) que ces mêmes méthodes ont inspiré l’armée française pendant la guerre d’Algérie.

Sources :
 Lettres du maréchal de Saint-Arnaud, publiées par Adolphe Leroy de Saint-Arnaud (2e édition), éditions Michel Lévy frères, Paris 1858
 L’Honneur de Saint-Arnaud, par François Maspéro, Le Seuil, 1995
 Coloniser Exterminer : Sur la guerre et l’État colonial, par Olivier Le Cour Grandmaison, Fayard, 2005, pp. 138-145.

Détail de la fresque du monument

Plaque sur le monument des enfumades du Dahra

Photos : Jean-Claude Doussin


Enfumades d’Algérie

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