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"J’avais 11 ans et j’habitais une cité de transit à Nanterre "... extraits d’un entretien avec Mehdi Charef

samedi 12 novembre 2016, par Michel Berthelemy

Mehdi Charef est écrivain. Dans son dernier ouvrage, le Harki de Meriem, réédité chez Agone, il parle de son rapport à la France, des résonances de la guerre d’Algérie dans la France d’aujourd’hui, de la manière dont sont perçus les immigrés. Extraits de son récent entretien avec les animateurs du Bondy-Blog :

Sur le “Harki de Meriem” et son rapport aux Harkis :

“J’avais 11 ans et j’habitais une cité de transit à Nanterre. Un monsieur s’était installé avec sa femme et ses deux enfants dans une baraque en face de chez nous. Le lendemain de son arrivée, j’allais à l’école et sur sa porte, j’ai vu que des gens avaient peint un grand H en rouge. Cela voulait dire qu’ils étaient indésirables, on leur disait de dégager. Deux, trois jours après ces gens-là sont partis. Ce “H” je le vois encore, je vois encore leurs visages quittant le camp car indésirables“.

“J’ai perdu des gens dans ma famille qui sont morts. Des filles qui ont été prises par les soldats français, parce qu’elles étaient jolies, elles avaient 15/16 ans , certaines qu’on n’a jamais revues, violées dans des montagnes. Du coté de ma mère, des oncles se sont faits tuer, mon grand-père a été assassiné. On ne les aimait pas les Harkis car les Français tuaient les nôtres et parmi eux il y avait des harkis. Je les détestais moi”.

“C’est le seul livre que ma famille n’a pas voulu lire jusqu’à aujourd’hui (…) Mon père, ma mère se souviennent des ratonnades, des coups de feu. En Algérie, quand il fallait s’enfuir, il ne fallait pas braver le couvre-feu, il ne fallait pas traîner dans la rue. Les gens qui leur tiraient dessus à nos parents les soldats français, parmi eux, il y avait aussi des Harkis, c’est de ça dont les gens se souviennent. Je ne sais pas si je pourrais un jour parler de ce livre en Algérie. Je pense qu’il le faut. Il faut que les gens en Algérie sachent ce que les Harkis sont devenus en France, comment les Harkis ont été accueillis ici, parce qu’avant tout c’était des Algériens. Il faut leur dire que c’était terrible, personne ne les envisageait. Ils étaient dans des camps, ils vivaient à dix, quinze par famille dans une chambre, je trouve ça inhumain” (…) “C’est difficile car on pense à son frère, à ses sœurs, à son père, on pense à la communauté algérienne, comment je vais leur annoncer cela, comment ils vont prendre le livre. Moi je n’oublierai jamais l’humiliation qu’a subie ce père, sa femme et leurs deux enfants”.

Sur la colonisation, la guerre d’Algérie, son rapport à la France comme fils d’immigré algérien :

“Il y a une grosse question et de grosses réponses encore à venir sur la colonisation. Une chose me choque : le colon veut toujours être colon, même maintenant en 2016 en France. Ils ont été colons, nous on a été indigènes et cette image, ils veulent la garder. Ça me choque beaucoup cet esprit colon que les Français veulent garder. Ce qui m’énerve parfois chez les immigrés, c’est que quelques-uns veulent garder cette image d’indigène. On a beau vouloir retirer ses haillons, ça ne plaît pas aux gens qu’on ne soit plus un indigène ; c’est peut-être parce qu’on n’a pas parlé de cette période (…) On nous demande de nous intégrer mais personne ne veut qu’on s’intègre parce que s’intégrer c’est évoluer, personne ne veut qu’on évolue”. 
“Quand on est arrivés ici, ceux de ma génération, on ne pouvait pas être nous-mêmes, ce n’était pas possible car il fallait parler le français tout de suite, il fallait s’adapter tout de suite, s’intégrer tout de suite, c’est ça qui était très dur pour moi. Je ne me rendais pas compte quand j’étais à Nanterre dans les bidonvilles, qu’on me demande de me débarrasser de ce que j’avais été. (…) Le plus dur c’était les parents : à un moment je me suis rendu compte que si on s’intégrait, si on voulait être un petit Français, c’était un petit peu renier son père et sa mère. Le jour où je me suis surpris à penser en français c’était… incroyable car on pensait en arabe, en algérien”. 

Les Français nous ont dit : votre langue c’est de la m...

“J’ai très longtemps hésité à prendre la nationalité française parce que j’entendais des gens dire ‘on ne veut pas de toi’. On n’a pas envie d’être ce que les autres nous ont fait subir”.
“Les Français sont arrivés, ils ont dit : “votre langue c’est de la m…”. Quand ils sont arrivés, ils ne voulaient plus qu’on parle l’arabe. Pour eux la langue arabe ce n’était pas une langue. C’est trop dur ça. ‘On vient ici pour vous civiliser’. Ça a été très dur, c’est peut-être ça qui se passe maintenant, c’est dur d’entendre dire que votre langue n’est pas une langue, que c’est barbare. On était dans une Algérie qui n’était plus à nous, votre pays n’est plus votre pays, ça fait mal. C’est très très dur de sortir de chez soi et d’avoir très peur des gens qui sont venus, de se dire que ça leur appartient, c’est quelque chose qui est dur à porter même maintenant, la preuve je suis en train de parler et j’ai l’impression de souffrir de l’intérieur. On m’a tout pris. Mon père a travaillé ici, et je me disais ‘comment je vais vivre chez des gens qui m’ont fait ça, en Algérie ?’ Je ne voulais pas rester là, je ne l’avais jamais dit à mes parents. J’aurais préféré rester en Algérie. J’étais nu, pieds nus, mais j’étais un prince là-bas dans ma montagne. C’est dur quand on vous prend tout, vous n’existez plus. J’avais peur des Français quand j’étais en Algérie”.

Être soi-même c’est ne pas avoir honte de ce qu’on est...

“Je n’ai jamais été moi-même. J’ai commencé à être moi-même quand j’avais 28-30 ans, quand j’ai commencé à écrire. Être soi-même, c’est ne pas avoir honte de ce qu’on est, de ce qu’on fait, de ce qu’on parle. Quand ma mère me parlait dans l’autobus, j’avais honte qu’elle parle arabe. Quand elle sortait, qu’on allait à Monoprix, j’avais honte parce que les gens la regardaient avec sa robe à fleurs, avec son foulard sur la tête. On n’avait pas beaucoup d’argent, alors on allait chez des gens qui nous donnaient des vêtements, on avait toujours des pull-overs trop longs, des pantalons trop courts. Je savais qu’il fallait qu’on parle le français, qu’on n’était plus en Algérie, je savais qu’un bouleversement allait nous bouleverser et que ça allait être très dur”.
“Un livre sortira en printemps sur ça, l’arrivée d’une famille en France, avec nos valises. Je me rappelle les deux premiers jours de notre arrivée, mon père ne voulait pas nous montrer le bidonville. Il nous a amenés chez sa sœur qui vivait dans un HLM, “Les Marguerites” à Nanterre. (…) On a vécu 12 ans dans le bidonville, c’était ça la honte au début (…) Le livre s’appellera “Rue des pâquerettes”.

Source : bondyblog

Messages

  • Cité des Marguerites année 1959 1970
    J’y étais,école du petit Nanterre aussi.
    Je me souviens aussi des harkis qui s’était installé dans un hôtel au pont de Rouen.et puis la mixité qu’il y avait à cette époque.
    Je jouais au foot AJSN j’avais 17 ans .
    Le responsable était un Militant de lutte ouvrière ! Un homme formidable qui traînait dans les cités pour les convaincre de faire une activité.
    L’entraîneur Daniel était du secours catholique ainsi que l’encadrement.
    Dans mon équipe il y avait Algérien Marocain Portugais Espagnol et 3 Français.
    Mehdi faisait parti de l’équipe.
    Mais entre nous étions une bonne équipe de copains.

  • j’habitais dans un pavillon ouvrier rue des Marguerites,et je pense que je faisais partie de ces trois français ; de mémoire, il y avait aussi Domingo, Télahoui, et Lazar le capitaine ; le responsable du club comme tu dis, s’appelait Jean Marcel ; on avait un terrain pourri en face les bâtiments militaires avenue de la République, on se déplaçait en bus, les moyens étaient nuls, mais on jouait comme des Dieux ; on mettait toujours la pâtée à l’Etoile Sportive de Nanterre, le club municipal avec leurs beaux maillots ;
    mon père conseiller municipal voulait que je quitte ce club " pourri " ; pour rien au monde je n’aurais lâché mes supers potes et ces deux adultes si bienveillants ;
    Heureux de t’avoir lu Ramon ;

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