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Guerre d’Algérie : rencontre-débat histoire et mémoires à Lanvallay, dans les Côtes-d’Armor

mercredi 13 mars 2019, par François-Xavier Ricard

Le 1er mars en soirée, 80 personnes environ (dont une petite délégation du jumelage Rennes-Sétif) ont répondu à l’invitation de la mairie de Lanvallay à assister-participer à une conférence-débat sur « La guerre d’Algérie – 1954-1962 – Histoire et mémoires croisées ».

Dans l’assistance, beaucoup de « têtes blanches », femmes et hommes, pour qui cette histoire, d’une manière ou d’une autre, fait partie de leur vie, et des personnes plus jeunes, dont plusieurs lycéennes et lycéens, désireux-ses de mieux connaitre un pan de l’histoire de leurs parents, grands-parents…
Plusieurs documents étaient, dès l’entrée dans la salle, mis à la disposition des arrivants, en « libre-service » : chronologie essentielle, carte, bibliographie, filmographie.
Un peu plus loin, une table où une trentaine de livres (histoire, témoignages, romans) pouvaient être consultés.

Animée par le maire lui-même, Bruno Ricard, cette soirée a été autant un échange qu’une conférence : le choix avait été fait de donner d’abord la parole au public, après une très brève présentation de chacun des quatre intervenants.
Ces quatre intervenants, c’étaient d’abord Tramor Quemeneur, un des historiens reconnus de la colonisation et de la guerre d’Algérie. C’étaient ensuite trois témoins : Pierre Carlo, adhérent de l’association « 4ACG » (Anciens Appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre), Erwan Evenou, adhérent de l’Association Nationale des Pieds-Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA), et Abdelati Laoufi, fils de moudjahid (combattant de l’Armée de Libération Nationale algérienne). On avait voulu rassembler des personnes aux itinéraires différents et désireuses de dire en public et leurs différences et le respect qu’elles se portaient mutuellement.
La proposition faite d’emblée aux personnes présentes était « Qui parmi vous peut ou veut bien nous dire la raison de sa présence ici ce soir, quel intérêt particulier l’anime, quelle question il ou elle souhaiterait poser ? ».
Après plusieurs questions et témoignages de la salle, les intervenants répondaient, évoquaient leurs souvenirs, parlaient de ce qu’avait été leur expérience, de ce qu’était leur « ressenti » aujourd’hui encore, l’historien élargissant les perspectives, replaçant les témoignages dans leur contexte, précisant tel ou tel point.

Principaux thèmes ou questions abordés

C’est probablement le mot « complexité » qui revint le plus souvent dans les échanges, qui se sont déroulés dans un climat paisible, dans un grand respect des paroles des uns et des autres, avec parfois beaucoup d’émotion, parfois aussi de l’indignation contenue contre ce qu’avaient subi tels ou tels des nombreux protagonistes de ce conflit, le plus long que la France ait connu depuis les guerres napoléoniennes… On a aussi beaucoup senti la volonté (déjà en action et à venir) de développer avec les Algériens, ceux d’ici comme ceux de là-bas, des rencontres, des dialogues, la recherche d’une vraie compréhension

Les « harkis », au sens large du mot : leurs motivations, comment ils étaient considérés par l’armée et par les autres Algériens, quels rapports les soldats français avaient avec eux… « C’étaient des hommes dont on ne savait pas si on pouvait leur faire confiance, parfois oui, parfois non ; je me souviens du jour où une vingtaine d’entre eux ont déserté avec leurs armes », dit Pierre. » Abdelati : « Dans nos familles, on a tous eu des harkis et des FLN ». Et Tramor rappelle le destin tragique, après 1962, d’un grand nombre d’entre eux, maltraités ou assassinés en Algérie ou parqués en France dans des camps inhumains.

Comment chacun des témoins présents a vécu cette période ? Pour Abdelati : « Pour moi la colonisation et la guerre, c’est l’obscurité, la peur, car j’avais six ans en 1954. En 1962, c’est la lumière, mais la fête ne dure pas longtemps, le pays compte 90 % d’analphabètes. » « L’Algérie est mon pays natal, dit Erwan, J’y suis retourné trois ans après l’indépendance et j’ai eu le bonheur de retrouver mon enfance, il y avait une culture commune, unique ». Quant à Pierre : « En 1956, on ignorait totalement l’Algérie et on y partait avec une naïveté déconcertante. On nous demandait de prendre des renseignements auprès des jeunes, et c’est la vue d’un paysan algérien sur une civière qui m’a interpellé. On n’était pas venu pour faire ce boulot-là. »

Est-ce qu’on aurait pu éviter cette guerre ? « Non, dit Tramor. Elle était probablement en germe dès les débuts de la conquête, dans les années 1830… Surtout, la résistance des Algériens, puis leurs révoltes, sont nées et se sont renforcées progressivement au fil des décennies où l’Etat français, surtout à partir de la IIIe République (1871-1940) a inventé toutes sortes de dispositifs juridiques qui transformaient les Algériens en « sujets » et non en « citoyens », qui les privait des droits républicains élémentaires, qui « autorisait », en de très nombreux endroits, à les spolier de leurs terres, individuellement ou collectivement. Ils ont aidé la France à gagner les deux guerres mondiales sans jamais rien recevoir en contrepartie… ». Abdelati rappelle que les Algériens, eux, à la différence des Européens, avaient besoin d’un laisser-passer pour circuler dans leur propre pays. « Nous étions sujets français, mais inférieurs, alors que nous étions le même peuple, on a donné la nationalité française à des Européens (Italiens, Espagnols, Maltais…) ainsi qu’aux Juifs (décret Crémieux de 1870), mais pas à nous », et Pierre d’ajouter : « On a su plus tard qu’on avait clochardisé le peuple algérien ».

Pourquoi, comment le déclenchement de cette guerre à ce moment-là (1er novembre 1954) ? « Pendant longtemps, dit Tramor, dès après la guerre de 1914-1918, certains Algériens ont tenté de conquérir leurs droits par les voies légales, sans le moindre résultat. C’est, entre autres, ce qui a convaincu certains que la lutte armée était le seul moyen d’acquérir ces droits, ce qui ne pouvait que passer par l’indépendance de leur pays ». Il rappelle alors l’énorme traumatisme collectif qu’a été, dans les jours qui ont suivi le 8 mai 1945, le massacre de plusieurs milliers d’Algériens dans le Constantinois, à Sétif et à Guelma en particulier, et ce traumatisme a laissé des braises brûlantes qui se sont ravivées moins de dix ans plus tard. Le « réveil » armé a été également encouragé par la défaite subie par l’armée française à Dien-Bien-Phu, en Indochine, en mai 1954 : il apparaissait que, désormais, cette armée, une des plus puissantes du monde, n’était plus invincible.

On parle aussi des « soldats du refus », les jeunes Français (insoumis, réfractaires, objecteurs de conscience, voire déserteurs) qui ont refusé de participer à cette guerre en acceptant, pour certains, de payer ce refus de plusieurs années de prison ou d’un exil forcé ; d’autres, sur place, ont refusé de porter les armes, quitte à subir toutes sortes de vexations et d’humiliations… Pourquoi ont-ils été si peu nombreux ? pourquoi n’y a-t-il pas eu en France plus d’oppositions à l’envoi de ces jeunes en Algérie ? Tramor explique : « La réponse est que les manifestations de « rappelés », en 1955 et 1956, n’ont pas été soutenues par les partis politiques. Les appelés sont donc partis contre leur gré, et contre l’avis de la population qui était majoritairement favorable à l’indépendance algérienne dès juillet 1956. Par contre, il a fallu attendre l’année 1960 pour que des associations, des syndicats et des partis se mettent à poser ouvertement la question de la désobéissance dans la guerre d’Algérie et de l’indépendance algérienne. » Pierre, lui, explique que, en France, même si le courrier avec les familles était très peu surveillé, (sauf celui des soldats suspectés de « mauvais sentiments »), les familles étaient mal informées de ce qui se passait réellement,, entre autres parce que les soldats français eux-mêmes ne disposaient que de très peu d’outils d’information : il y avait les transistors, certes, mais les chaines de radio ne disaient pas tout et les périodiques français critiques, voire dénonciateurs (L’Humanité, Témoignage Chrétien, L’Express…) étaient interdits en Algérie, surtout dans l’armée, où les « bidasses » n’avaient sous les yeux que Le Bled, le magazine officiel de l’armée.

Le « putsch » d’avril 1961 : on ne s’y attarde pas beaucoup, sauf le temps, pour Pierre et Tramor en particulier, de dire comment, grâce aux transistors, les soldats « de la base » ont pu suivre ce qui se passait à Alger et leur refus de se joindre à cette tentative de coup d’Etat, allant même, pour certains, jusqu’à enfermer certains de leurs officiers pour les neutraliser.
On parle ensuite brièvement des négociations entre le gouvernement français et le FLN pour rappeler combien la question du Sahara a été une pierre d’achoppement : c’est en 1957 qu’ont été faites les premières découvertes prometteuses de pétrole au Sahara et c’est en 1960 qu’a été fait par la France, à Reggane, son premier essai nucléaire, raisons pour lesquelles la France ne voulait pas « lâcher » le Sahara.

Après les tragédies de la guerre elle-même, les drames des derniers mois, et même après le cessez-le-feu. Une des facettes principales de ces drames a été l’existence et les actions de l’OAS (Organisation Armée Secrète), « créée par le général Salan dès le début de 1961, alors que, à la retraite, il se trouvait en Espagne. Cette OAS est devenue vraiment active après l’échec du putsch d’avril 1961 et s’est déchaînée lorsque, les négociations d’Evian progressant malgré d’énormes difficultés, il devenait évident que le général de Gaulle irait jusqu’au bout de sa décision que l’Algérie accède à l’indépendance. » Mais, malgré ses exactions et ses nombreux assassinats, l’OAS est apparue à beaucoup de pieds-noirs et de juifs algériens comme le seul recours encore possible, tant ils se sentaient trahis et abandonnés. « La résistance pied-noir s’est matérialisée à travers l’OAS, dit Erwan, car c’était le dernier refuge des pieds-noirs, dont beaucoup étaient de condition modeste, qui ne savaient plus du tout à quel saint se vouer », ce que confirme une personne de la salle : « Je suis juif algérien, né en 1953 sur place. La France, c’était notre patrie et l’Algérie c’était la France. Or, durant cette guerre, nous espérions que l’armée française serait notre sauveur. Ma famille a été horrifiée par des massacres dans les deux camps. Dans ma famille, il y a eu des membres de l’OAS, car nous avions peur d’être expulsés et c’étaient les seuls qui pouvaient nous protéger ! Aujourd’hui, en Algérie, on ne peut pas être Algérien si on est juif. Si j’étais resté, qu’est-ce que je serais devenu ? »

Cela mène bien sûr à parler du choc de l’exode forcé des pieds-noirs, brutal, parfois violent, vers un pays inconnu, des traces de ce traumatisme, qui sont encore loin d’être effacées, qui pour certains ne le seront jamais. Et cela d’autant plus que les pieds-noirs se sont souvent sentis malvenus en France, accusés de toutes sortes de « fautes », très souvent laissés à eux-mêmes pour tenter de construire une nouvelle vie dans une France qui ne savait pas les accueillir.
Sous des formes différentes, les harkis qui ont pu « se réfugier » en France ont été victimes de rejets et de mépris dont souffrent encore beaucoup de leurs enfants et de leurs petits-enfants.
Il y a aussi les traces, ineffaçables elles aussi pour certains, de ce qu’ont vu, entendu, subi, parfois laissé faire, de nombreux anciens appelés. Il est des regrets, voire des remords qui rongent encore certains d’entre eux.

Quant aux Algériens, les plus âgés ont en quelque sorte subi une double peine, celle du souvenir et des cicatrices des violences de cette guerre (qui a fait parmi eux plus de 500.000 morts) et celle des souvenirs de la « décennie noire » des années 1990, cette guerre civile algérienne qui a fait plus de 200.000 morts et qui a contraint de nombreux Algériens à fuir leur pays. Les plus jeunes, eux, trop préoccupés qu’ils sont par un avenir plein d’incertitudes, ne savent pas grand-chose de la « guerre d’indépendance », sauf, peut-être, la mythologie construite sur ce sujet par le pouvoir officiel.
Pour terminer, certains disent leur sentiment que des réparations seraient dues aux différentes victimes de ce terrible conflit. Bien peu a été fait sur ce registre. Cependant, l’Association des Anciens Appelés en Algérie et leurs amis Contre la Guerre (4ACG) a été créée il y a 15 ans avec comme premier objectif de constituer, à partir des pensions d’ancien combattant (700 € par an) que lui reversent ses adhérents, une « cagnotte » qui est ensuite répartie entre des associations et des mouvements qui, en Algérie notamment, mais aussi au Maroc et en Palestine, agissent pour la paix, pour l’éducation, pour le développement local…
 
La rencontre se termine un peu après 22h30 et nombreux sont ceux qui restent un moment pour continuer à discuter, à faire un peu mieux connaissance et, bien sûr, à boire le verre de l’amitié…
 
Ce compte-rendu est le résultat du travail collectif des organisateurs et des intervenants de la soirée, avec la collaboration bénévole de Thierry Giordana, journaliste au Petit Bleu des Côtes-d’Armor

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