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Guerre d’Algérie. Histoire commune, mémoires partagées ?

mercredi 5 décembre 2018, par Christian Travers

C’est sous ce titre que s’est tenue le 28 novembre une journée d’études destinée essentiellement aux professeurs d’histoire. Celle ci était organisée par l’ONACVG (Office National des Anciens combattants et Victimes de Guerre) et le Musée National de l’Histoire de l’Immigration qui accueillait les participants dans le Palais de la Porte Dorée. Une centaine de personnes ont assisté à la séance du matin et une cinquantaine à celle de l’après-midi

En préambule, Rose-Marie Antoine, sa directrice générale, a rappelé les origines de l’ONAC en citant Clémenceau : « ces hommes qu’on a jetés dans la bataille, ils ont des droits sur nous ». D’abord vouée aux anciens combattants, l’ONAC a progressivement élargi son champ d’intervention aux victimes de guerre, rapatriés, harkis, victimes du terrorisme. Elle s’est engagée ensuite dans une activité mémorielle afin que l’indicible soit dit, afin que des mots soient mis sur les maux.
Sur cette guerre d’Algérie, qui longtemps n’a pas dit son nom, les jeunes générations veulent savoir, veulent comprendre. On ne gagne jamais une guerre, on perd des hommes. Il faut parler de cette guerre si l’on veut tourner la page. Evoquer la diversité des parcours, la complexité des situations c’est un moyen de lutter contre des représentations qu’on doit dépasser afin de lutter contre le racisme et les discriminations.

Les enjeux, histoire et mémoires
par Benjamin Stora, historien et Président du Conseil d’orientation du MNHI (Musée national d’Histoire de l’Immigration)

 1 500 000 soldats français dont de nombreux appelés
 2 000 000 de paysans algériens déplacés,
 près d’un million de pieds-noirs rapatriés,
 30 000 morts côté français,
 des centaines de milliers de morts côté algérien
Aujourd’hui et depuis une vingtaine d’années on sort de l’oubli. Des publications et des films surgissent de toutes parts. Ils ne suffisent pas à produire l’apaisement. Il reste un hiatus dans les représentations. Il reste un affrontement entre les partisans de l’indépendance et ceux qui ne voulaient pas que ça change. Il reste un désaccord entre les Algériens et les Français, sans parler des juifs d’Algérie et des pieds-rouges qui sont venus en Algérie après l’indépendance et que l’on chiffre entre 50 et 80 000. Il y a un éclatement et une prolifération des groupes de mémoire. Chacun veut ajouter sa pierre au récit national.

Longtemps, en Algérie, le récit national a été incarné par le FLN, avec un seul héros, le peuple. Depuis le « printemps berbère » en 1980, on a ajouté de la complexité. Au récit militaire s’est ajouté un récit politique et civil qui fait une place aux affrontements internes. Ainsi la légitimation du pouvoir qui tient au récit officiel se trouve un peu ébranlée. Dans ce contexte de mémoires multiples, la tentation du repli sur soi existe et cela conduit au nationalisme.
L’accès aux archives de part et d’autre est plus que jamais nécessaire. En France on s’intéresse surtout à la fin de la guerre, aux accords d’Evian, au drame des rapatriés alors qu’en Algérie on se penche surtout sur les racines : le colonialisme et le début de la guerre.

Présentation des panneaux d’exposition réalisés sous la direction de l’onacvg, et des outils mis à la disposition des professeurs
par Raphaëlle Branche, Jean-Jacques Jordi et Abderahmen Moumen qui en ont assuré la supervision historique

« Afin de réaliser ces documents on s’est attachés à rassembler tous les acteurs et à fournir des documents en indiquant leurs sources ».
Trois parties ont été retenues :
 la période coloniale : 1830 à 1954,
 la guerre : 1954 à 1962
 les mémoires : de 1962 à aujourd’hui.

Au 19 e siècle il y avait davantage d’Européens non français que de Français en Algérie. On a donc naturalisé les Espagnols, les Italiens, les Maltais… et les Juifs qui résidaient sur place. Mais ceux qu’on n’appelait pas les Algériens mais les indigènes ou les musulmans étaient français pour aller à la guerre mais ils n’étaient pas des citoyens à part entière (noter que jusqu’en 1945 les Françaises étaient aussi des citoyennes de seconde zone !)
La guerre d’Algérie est autant une histoire militaire qu’une histoire politique et internationale. La colonisation est une donnée essentielle mais la seconde guerre mondiale, la création de l’ONU et l’affrontement entre le bloc occidental et le bloc soviétique interfèrent dans cette guerre.
La découverte du pétrole et du gaz, et les essais nucléaires au Sahara, n’ont pas aidé à trouver la solution et à finir la guerre. C’est pendant cette période que nos institutions ont vacillé, que la cinquième république est née.

C’est seulement en 1983 que les événements d’Algérie sont abordés dans les programmes et c’est seulement en 1999 que Lionel Jospin et Jacques Chirac ratifient le terme de guerre. Toutefois dans le programme d’Histoire les professeurs ne choisissent que très peu souvent la Guerre d’Algérie alors qu’on sait que 10 millions de français ont directement à voir avec cette période douloureuse. Sans doute est-ce en raison de la formation universitaire des professeurs qui bien souvent n’ont pas étudié cette période. C’est pourquoi l’Onacvg a souhaité fournir ces outils aux professeurs, et organise des formations en collaboration avec la direction des enseignements scolaires du Ministère de l’Education nationale.

Héritiers de la guerre, les jeunes français et les mémoires de la guerre d’Algérie : le boomerang colonial
par Paul-Max Morin, chargé de mission à L’Onac

La colonisation divise encore les Français : la famille Le Pen véhicule les idées de racisme et de revanche. Eric Zemmour tente de réhabiliter l’histoire coloniale, ne fait pas la différence entre les opprimés et les oppresseurs. Christian Estrosi signe des arrêtés interdisant les youyou, visite et s’incline devant des monuments érigés en hommage aux criminels de l’OAS. Dans le même temps Christophe Castaner et Jean-Luc Mélenchon sont menacés par un groupe d’anciens activistes. Dans un lycée, la présentation d’une œuvre littéraire écrite par un Algérien né en France est ostracisée par certains élèves. Et des attentats terroristes ont marqué l’histoire récente.

Il importe de préciser de quoi nous sommes les héritiers, de rappeler que les mémoires sont historiques mais également politiques, et de savoir qu’une minorité agissante impacte la société. Les jeunes d’aujourd’hui sont héritiers de mémoires très diverses :
Il y a la situation des hyper-mémoires des pieds-noirs qui revisitent le mythe du pionnier façon Far West alors que la plupart des Européens vivaient en ville..
Il y a les harkis dont la mémoire est cadenassée ou « qui sont prisonniers d’une mémoire formatée ».
Il y a les Algériens qui ont été alimentés par le récit mythologique du FLN.
Et pour les petits fils de soldats la question se résume souvent à « Papi, est-ce que tu as tué ? »

Pour P.M Morin, les mémoires de ces héritiers peuvent faire l’objet de la classification schématique suivante :
 les dilués : silence, retenue, méconnaissance. Ils savent que le sujet est sensible et ils n’ont pas les mots pour en parler. Ils savent différencier le eux (les Algériens) du nous (les Français). Ils sont obsédés par les guerres possibles (avec les chinois, les russes, guerre civile). Ils s’interrogent sur la façon de se comporter, dont ils se comporteraient.
- les affectés : le passé ne passe pas, ils ont des idées de revanche. Ils sont peu nombreux mais ils restent en colère.
- les militants : ils sont instrumentalisés et à partir de leurs mémoires le risque d’une radicalisation politique existe.

Le concept de post-mémoires. La mémoire des cendres
par Tramor Quemeneur, historien

Comment transmettre une mémoire d’événements qu’on n’a pas vécus ?
Les interviews réalisées par l’historien révèlent des situations très complexes. On peut naître de parents Algérie française, épouser un marocain et se convertir à l’islam. On peut vivre aujourd’hui sans savoir si son père a été harki ou non. On peut avoir vécu son enfance en croyant que son père était légionnaire et découvrir cinquante ans après qu’il avait été appelé sous les drapeaux. Toute occasion de dialogue est à saisir pour apaiser les mémoires. L’enseignement de l’histoire, de sa complexité, permet la mixité des mémoires. L’internationalisation, la vision plus large (Europe, Monde) et la découverte d’expériences semblables permettent recul et relativisation.

Enseigner la guerre d’Algérie : enjeux et ressources disponibles
par Valérie Esclangon-Morin, historienne et Paul-Max Morin

Avant 1962 l’enseignement au-delà de « nos ancêtres les gaulois », exaltait l’empire français et les grandes figures de la colonisation. C’est seulement depuis 1983 que la guerre d’Algérie est enseignée dans les lycées et depuis 1986 au collège. Il est essentiel aujourd’hui de dispenser un enseignement qui dépasse les mémoires des communautés. A l’Université on n’enseignait ni la colonisation ni la guerre d’Algérie, ce qui explique le peu d’empressement des professeurs à aborder cette période.
De nouveaux programmes sont actuellement en gestation pour les lycées. On devrait y aborder l’exposition coloniale de 1930, L’Algérie en 1830, le code de l’indigénat, l’expédition du colonel Marchant, la vie à Alger au début du 20e siècle…

L’onac offre aux professeurs :
 une exposition sous forme de panneaux tirée en 109 exemplaires
 une mallette pédagogique sous forme de clé USB avec 60 heures d’enseignement,
 une chaîne Youtube permettant des projections en classe (disponible très prochainement)
 une offre de témoignages à quatre voix d’acteurs de la guerre
 des formations d’enseignants

La campagne d’archives orales
par Abderahmen Moumen , historien chargé de mission à l’Onac, Romain Choron, chef des archives orales au SHD (Service Historique de la Défense), et Rosa Olmos responsable des archives audio-visuelles à La contemporaine (ex-BDIC)

La fabrication d’archives orales contemporaines a été initiée dès 1917. En 1970 elle a été rattachée à l’université de Paris-Ouest et en 2020 ces archives seront regroupées dans une bibliothèque spécifique, La contemporaine.
Les objectifs :
 donner la parole aux oubliés de l’histoire,
 pallier l’absence d’archives écrites,
 illustrer et compléter les archives écrites.
1100 témoignages ont été collectés concernant la guerre d’Algérie, dont ceux recueillis par Raphaëlle Branche pour sa thèse « « les soldats, leurs chefs, et les violences illégales pendant la guerre d’Algérie 1954-1962 ». Ces témoignages sont accessibles sur www.servicehistorique.sga.defense.gouv.fr
Une nouvelle campagne, qui a commencé, est prévue jusqu’en 2021. Il s’agit de recueillir des témoignages sonores (objectif 300), parfois audio-visuels, si les moyens le permettent.

La transmission des mémoires par la création artistique
séquence animée par Naïma Huber-Yahi, historienne

Invitées à cette journée d’études, des artistes sont venues présenter leurs objectifs, expliquer leur façon de travailler, et pourquoi elles ont à cœur de transmettre sur la guerre d’Algérie en proposant les premiers rushes des spectacles qu’elles préparent.
Etaient présentes : Murielle Bechame, metteuse en scène , compagnie Arcat - Sarah Mouline, metteuse en scène, Compagnie si ceci se sait, pour son spectacle Du sable et des Playmobils - et Marie Maucorps, metteuse en scène à la Compagnie Les compagnons butineurs.

Christian Travers

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