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Appelés en Algérie, le douloureux retour de la mémoire

vendredi 22 janvier 2016, par Gérard C. Webmestre

Une soirée, un film. En règle générale, lors des séances exceptionnelles dans un cinéma en présence du réalisateur, la projection se termine par une salve d’applaudissements.

Ce mardi de janvier, à La Salamandre à Morlaix, ce fut un long moment de silence. Pas un silence de gêne ou d’ennui, au contraire, mais quelques minutes d’apaisement et de partage après 1 h 58 de prenants témoignages et de chaleureux reportages tant il était important de prolonger par une réflexion personnelle le cheminement de ces hommes et la réponse collective qu’ils ont apportée à leurs interrogations.

Les histoires individuelles recueillies par Emmanuel Audrain dans Retour en Algérie montrent bien comment, pris dans l’engrenage infernal d’une guerre officiellement niée, ces jeunes appelés y ont laissé une part d’eux-mêmes et comment, écartelés entre deux sentiments contradictoires (le désir d’oublier et le besoin de se souvenir), ils se sont, plusieurs dizaines d’années après, décidés à parler. A parler et à agir.

En libérant la parole, ils libéraient des énergies nouvelles. De même qu’ils ne pouvaient garder indéfiniment enfouies en eux les souffrances d’une innocence bafouée, il n’était pas concevable de garder pour eux une « retraite de combattant » certes justifiée mais gangrénée d’ambiguïtés. Ils en ont fait, témoigne le film, un ferment de développement et de fraternité.

Comment ont-ils pu entrer dans un tel système ?

Une soirée, un film, un débat. En règle générale, après les applaudissements, le réalisateur sourit, remercie vivement les spectateurs qui posent des questions trop souvent truffées de lieux communs.

A Morlaix, les applaudissements sont restés dans les cœurs et les questions sont devenues récits.

Cet appelé de la dernière année (1962) n’a jamais tiré mais lui sont revenus en mémoire pendant la projection les cris des jeunes soldats enfermés dans l’hôpital psychiatrique qu’il gardait. « Je ne m’en souvenais plus », s’étonne-t-il.
« Où étaient les gens d’une certaine culture, les lieutenants, les capitaines ? Comment ont-ils pu entrer dans un tel système ? », s’interroge un ancien sous-officier.
« J’étais petite fille quand on a rappelé les réservistes. J’ai pleuré quand mon frère est parti. C’était la catastrophe », raconte une septuagénaire.
Certains ne reviendront pas comme Jean-Claude, appelé de Saint-Martin-des-Champs enlevé avec vingt-deux camarades. « Toute ma famille a été traumatisée pendant des années » rapporte un neveu. Les circonstances de sa mort n’ont été connues qu’en 2005 et le corps n’a jamais été retrouvé.
Une autre parle de frère ainé revenu vivant mais moralement cassé et qui lui dit, à 78 ans, « avoir raté sa vie ». On évoque aussi ces « mamans transistors » accrochées à leur poste de radio dans la morbide crainte d’une funeste nouvelle, cette famille de pieds-noirs qui refuse de répondre aux questions de leur fille…

... et feuilleter au retour quelques Paroles d’humanité

Il apparait ainsi, au fil des témoignages locaux, que beaucoup de familles, beaucoup de personnes autres que les appelés, avaient vécu intimement cette sale guerre ou ses conséquences sans jamais en parler
Ce ne furent que quelques éclats de souvenirs dans la pénombre du non-dit qui couvre ce que l’on appela pudiquement « les évènements » mais qu’il était riche de les partager ! Qu’il était réconfortant de feuilleter au retour des « paroles d’humanité » du livre des 4ACG et de se rappeler leurs projets sur cette terre d’Algérie où tant de monde a souffert ! (1)

Il a fallu une cinquantaine d’années pour que leur parole se libère. Il en faudra bien d’autres pour que la France revisite en paix son histoire coloniale. Les anciens appelés d’Algérie disparaîtront un jour mais ils laisseront derrière eux l’empreinte d’une liberté reconquise et d’une fraternité retrouvée.

Fanch Olivier
ancien journaliste du Télégramme, quotidien du Finistère

(1) "Guerre d’Algérie, guerre d’indépendance, Paroles d’humanité" publié en 2012 aux éditions L’Harmattan, avec une préface à deux voix de Raphaëlle Branche et Ouanassa Siari Tengour.

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