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20 octobre 1961. Les Algériennes manifestent Paris contre la répression et pour l’indépendance

mercredi 2 novembre 2022, par Michel Berthelemy

Trois jours après les événements tragiques du 17 octobre à Paris et sa banlieue, les femmes algériennes relèvent la tête. Elles décident d’organiser dans la capitale une grande manifestation contre la répression et pour l’indépendance. Le 20 octobre, elles descendent dans la rue. Cette fois encore, les forces de l’ordre les attendent. Elles seront nombreuses à être arrêtées et interrogées.

Bravant l’interdiction policière, les femmes algériennes parviennent à se rejoindre en différents points de la capitale. 984 d’entre elles, accompagnées de 595 enfants, seront arrêtées. Toutefois, certaines femmes réussissent à déployer des banderoles en scandant « Indépendance totale de l’Algérie ! », « Libérez nos maris ! » et « À bas le couvre-feu ! ». Souvent détenues dans des commissariats avant d’être transférées dans des cars de police et des bus de la RATP vers des centres médicaux-sociaux, voire des hospices ou des hôpitaux psychiatriques, les fauteuses de trouble regagnent enfin leur domicile dans la nuit.
Ces manifestations publiques ne représentent toutefois qu’un volet de la participation des Algériennes en France métropolitaine aux luttes pour l’indépendance. Sont aussi à mettre à leur actif les fonctions essentielles, et clandestines : la collecte des cotisations, l’hébergement de militants, le transport d’argent, de messages et d’armes, le soutien aux détenus et les tâches de secrétariat. Si les mobilisations de la semaine du 17 octobre appartiennent aux répertoires genrés bien établis par le FLN en Algérie – soutien des femmes aux hommes assassinés, blessés, disparus et détenus -, où chacun a sa place, ces rassemblements de rue assurent « l’auto-visibilisation » des Algériennes dans ce combat.

« Nous étions heureuses de pouvoir dire ce qu’on pensait »
L’histoire de la journée du 20 octobre peut s’écrire grâce aux nombreux rapports rédigés dans les semaines suivantes par des militant·e·s de la Fédération de France du FLN à destination des cadres. Certains de ces rapports sont saisis par la police parisienne en novembre 1961, d’autres circulent depuis les années 1970 dans des milieux anticolonialistes. Ces documents constituent autant de comptes-rendus individuels d’une prise de parole collective. En les croisant avec les rapports de police, les articles de presse et les travaux d’historiens, il est possible de dégager le rôle des Algériennes et de dessiner les contours de leur imaginaire politique.
Comme pour le 17 octobre, participer à la manifestation du 20 est une obligation imposée par le FLN. Certaines femmes veulent toutefois s’y soustraire, notamment par crainte des violences policières, mais également à cause de la difficulté d’assurer la garde des enfants en très bas âge. Mais la répression du 17 pouvait aussi nourrir un désir de riposte. Certaines manifestantes ont pu crier tout le ressentiment qu’elles ont accumulé depuis des années, et plus particulièrement depuis le début de la répression accrue à la fin de l’été 1961. La mobilisation en revêt presque une dimension cathartique, comme le souligne Fatima, une manifestante du 20 octobre : « Nous étions heureuses de pouvoir dire ce qu’on pensait. Comment sans cela aurions-nous eu cette occasion ? ». Ceci explique en partie la satisfaction, mais aussi la fierté qu’elles tirent de leur participation.
Le 20 octobre, les Algériennes n’occupent pas seulement la rue. Détenues, les femmes réussissent à politiser des lieux a priori apolitiques comme les hôpitaux, les hospices et les centres médicaux-sociaux – autant d’espaces « semi-publics » dans lesquels la police les emmène. Celle-ci a reçu la consigne d’éviter l’emploi du terme « arrestation » pour ces femmes représentées dans le discours officiel français et la presse de droite comme des victimes (du FLN), et dépourvues de toute capacité d’agir.

En détention, des actes de désobéissance… et des coups
Pourtant, si les rapports des militantes illustrent parfois une rhétorique nationaliste exagérée, ils révèlent surtout tout autre chose que de la passivité. Au fil des arrivées d’autres détenues, les sentiments initiaux de vulnérabilité cèdent à la solidarité, qui s’exprime par les chants, les slogans, les youyous, les drapeaux, les écharpes... Les femmes utilisent également ces méthodes lors de déplacements forcés en bus ou en cars de police, vécus comme autant de moments de protestation. Des militantes relatent les réactions des Parisiens – hostiles, indifférentes, ou enthousiastes - qui regardent quelque peu stupéfaits ces femmes crier leurs slogans à travers Paris. Les lieux de détention sont ensuite l’occasion de faire preuve d’actes de désobéissance obstinée, comme le refus de manger, la destruction de verres et d’assiettes, ou les graffitis faits au rouge à lèvres. Les femmes refusent surtout le silence et veulent défier les policiers. Celles détenues à la Maison départementale de Nanterre, menacées d’expulsion vers l’Algérie, n’ont pas peur de répondre : « C’est tout ce qu’on demande, c’est intenable ici, ça nous éviterait de payer le voyage »
Des policiers ont également infligé des violences physiques aux Algériennes le 20 octobre 1961 – coups de matraques, coup de pieds, gifles -, notamment lors des transferts en bus ou en cars de police. Selon Nadira, « On ouvrait les vitres pour pouvoir crier mais les agents nous arrachaient des vitres et nous bousculaient. Ils m’ont donné un coup de poing et une gifle à une de mes sœurs. Nous avons mis un foulard à la vitre. Ils l’ont arraché en nous bousculant ». Certaines Algériennes n’hésitent pas à en venir aux mains avec la police. La violence policière n’épargne pas non plus les Métropolitaines qui ont participé à ces rassemblements, souvent des femmes en couple avec des Algériens…

Source : Orient XXI, Jim House, 26 octobre 2022

L’article de Jim House : https://orientxxi.info/magazine/20-octobre-1961-les-algeriennes-battent-le-pave-de-paris-pour-l-independance,5943

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